Dérive antipodale des mots : machiavélique

octobre 8th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #110.

Troisième cas. Au début du XVIe siècle, dans un monde très agité où régnait la contingence, les puissants de la Renaissance italienne s’affrontaient sans cesse, tous contre tous.

S’adressant en 1513, dans son œuvre magistrale, Le Prince, à l’un de ceux-ci, Laurent II de Médicis, Machiavel [1469-1527] prônait l’intelligence et la tempérance dans les pratiques politiques. L’auteur jugeait que l’on ne conservait pas le pouvoir par la brutalité ou par la tromperie… mais par la prévoyance, la souplesse et l’habileté, jointes à la vaillance et à la droiture. Il estimait hautement la virtù… mais ne nourrissait aucune illusion sur les vertus des hommes. C’était donc un observateur lucide et pragmatique du monde, prodiguant des conseils avisés et réfléchis, probes en définitive.

Nonobstant, aussi bien les catholiques que les protestants se trouvèrent indignés par cette description réaliste du pouvoir, publiée en 1532, cinq ans après la mort de l’auteur ; à leur goût elle se révélait insuffisamment édifiante : elle n’était pas moralisatrice, donc elle ne pouvait pas s’avérer morale. Ils répandirent dès lors tant de médisances sur l’auteur (qui ne pouvait plus se défendre) qu’ils donnèrent de Machiavel l’image d’un individu dépourvu de scrupules ou d’idéal, encore pire que… “ cynique  [1]. Ils lui attribuèrent ainsi avec malignité l’adage : “ La fin justifie les moyens ”, un apocryphe peut-être dérivé du “ Exitus acta probat ” formulé par le poète latin Ovide [2].

Résultat de ces distorsions : le machiavélisme devint, erronément, synonyme de calcul fourbe, sournois et sophistiqué, immoral ou amoral. Alors qu’en réalité, un projet “ machiavélique ” ne correspond en rien à l’esprit machiavélien, c’est-à-dire aux intentions réelles de Machiavel.

[1] Cf. supra le texte no 108, « Dérive antipodale des mots : cynique ».

[2] Ovide [43 AEC – 18 EC], Heroides, II ; un vers à la traduction délicate, qui pourrait, d’ailleurs, simplement signifier “ Le résultat en vaut la peine ”.

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Dérive antipodale des mots : épicurien

octobre 8th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #109.

Deuxième cas. Au début du IIIe siècle AEC, dans un monde hellénistique bouleversé par les vastes conquêtes d’Alexandre de Macédoine [356-323], l’enseignement prodigué en son jardin par Épicure [341-270] prônait une vie équilibrée, fondée sur la simplicité des besoins, sur le respect de ces besoins, et sur la juste appréciation de la valeur fondamentale de cette simplicité.

La simplicité se révélait une source renouvelée d’harmonie en soi et autour de soi, elle permettait au corps et à l’esprit de s’épanouir. Une vie harmonieuse traitait le corps en allié et clarifiait l’esprit. Dès lors, on pouvait non seulement mieux discerner la réalité matérielle du monde et de ses phénomènes, mais grâce à cette clarté du regard on pouvait contempler la mort pour ce qu’elle était, simplement, et ne plus la craindre inutilement. Un adepte d’Epikouros, ‘ l’allié ’, se comportait ainsi en sage réaliste et paisible, vivant heureux de l’essentiel et fréquentant seuls quelques amis choisis.

En aucune façon ne s’agissait-il d’hédonisme, soit la recherche prioritaire de plaisirs dans la vie, ni de sybaritisme, soit une recherche exagérée de luxe et de luxure – une philosophie, respectivement une culture, ayant réellement existé dans le monde hellénisé, mais en dehors de toute influence et de tout contexte épicuriens. Au sein d’un monde troublé, l’épicurisme connaissait beaucoup de succès, dans toutes les strates de la société, et ce succès lui valait des ennemis. L’amalgame qui fut ainsi fait de “ l’enseignement du jardin ” avec l’hédonisme et le sybaritisme s’avéra une calomnie, répandue à la fin de l’Antiquité par deux idéologies en concurrence avec l’épicurisme, soit le stoïcisme, puis le christianisme.

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Dérive antipodale des mots : cynique

octobre 7th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #108.

Des mots tels que : “ cynique ”, “ épicurien ”, “ machiavélique ” ou “ cartésien ”, ont pris, dans le langage courant, un sens très éloigné des enseignements du premier philosophe du Cynisme, ainsi que de ceux d’Épicure, de Machiavel ou de Descartes. De fait, ces termes signifient à présent presque le contraire des idées de ces quatre penseurs. Il s’agit là de cas très intéressants de dérive langagière, qui méritent qu’on s’y arrête.

Premier cas. Au début du IVe siècle AEC, dans la ville d’Athènes, Antisthène avait admiré la frugalité et l’endurance de Socrate, ainsi que l’enseignement éthique de celui-ci. Aussi décida-t-il d’enseigner dans l’esprit de son maître bien-aimé, après la condamnation à mort inique de ce dernier, en 399 AEC.

Il mit l’accent sur la simplicité des besoins et sur la vertu des comportements ; dans l’indifférence aux jeux intellectuels (qu’ils soient sophistes ou platoniciens), ainsi qu’à ceux des puissants, auxquels l’on ne se gênait pas pour dire leur fait : sa philosophie était basée sur une exigence d’éthique franche et concrète, sans faux-semblants.

Le philosophe était né d’une mère d’origine non athénienne, ce qui ne lui permettait pas de bénéficier de la pleine citoyenneté et il n’avait le droit d’enseigner qu’au gymnase du Cynosarges, le seul où fussent admis les demi-citoyens de la ville. En référence au nom du lieu, très vite on le qualifia, lui et ses auditeurs, tous des “ demi-métèques ”, de kynikos (‘ du chien ’)… Antisthène ne s’en offusquait pas le moins du monde, prenant même à son compte l’épithète de “ cynique ” car il avait de l’estime pour la simplicité physiologique du chien ainsi que pour la franchise de son comportement. Intelligent et exigeant sur le plan éthique, l’enseignant du Cynisme restait néanmoins doux dans la conversation et modéré de façon générale.

À la mort du fondateur, en 365 AEC, son célèbre disciple, Diogène de Sinope, poussa à l’extrême l’ascèse dans le dénuement (il vivait dans un tonneau), mais aussi le verbe… mordant ! Platon le qualifiait de “ Socrate devenu fou  [1]… Le terme “ cynique ” prit alors une connotation nettement péjorative, d’impudeur comportementale et d’impudence langagière. On était loin du Cynisme équilibré d’Antisthène…

Deux millénaires plus tard, le terme se mit à dénoter, par ailleurs, une attitude ou un état d’esprit caractérisé par une faible confiance dans les motifs ou les justifications d’autrui… mais, aussi, un désintérêt blasé, voire une affectation d’immoralité. Dans cette dernière interprétation, le terme aura dérivé jusqu’à l’antipode du sens original… dans lequel primait, justement, l’exigence d’éthique !

[1] Cf. Diogène Laërce, Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres, Livre 6e « Les philosophes cyniques », ch. 2 « Diogène ».

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Le bonheur et la sérénité, ou bien l’excitation et le plaisir ?

octobre 3rd, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #105.

Le bonheur et la sérénité, ou bien l’excitation et le plaisir ? Les deux ne vont pas bien ensemble, selon l’adage que l’on ne peut ménager à la fois la chèvre et le chou. C’est à l’aune de cette distinction essentielle que peut se définir, très concrètement, le bien, ainsi que sa mesure et son choix.

Les philosophes et les moralistes depuis longtemps se sont penchés sur le sujet. Suite à de nombreuses recherches scientifiques, on découvre qu’en définitive ce vieux problème existentiel et éthique se révèle enraciné dans la biochimie. En particulier, dans la fine régulation physiologique de trois neuro-transmetteurs différents, adrénaline, dopamine et sérotonine : chez un individu donné, ses circuits sérotoninergiques ont-ils, en général, priorité sur ses circuits dopaminergiques et adrénergiques ?

Si oui, alors il a une chance de pouvoir vivre le bonheur dans le bien ; pour autant qu’il apprenne aussi, bien entendu, à reconnaître les choses pour ce qu’elles sont réellement. Car pas de bien possible sans connaissance et raison préalables.

Par contre, si l’on préfère évoluer dans l’excitation et le plaisir, la connaissance et la raison ne s’avèrent pas indispensables.

Or connaissance et raison réclament des efforts. Pas étonnant, dans ces conditions, que la plupart choisissent la voie la plus facile et la plus immédiate : celle de la dopamine et de l’adrénaline.

Ce n’est pas entièrement simple, toutefois… Car la persévérance apparaît surtout gérée… par la dopamine – et la vigueur au combat… par l’adrénaline ! On ne peut donc pas adhérer exclusivement à un “ bon ” circuit de neuro-transmission [1] (le sérotoninergique), au détriment des deux autres (l’adrénergique et le dopaminergique)… pas plus qu’on ne doit succomber aux attraits des deux derniers, ainsi qu’aux tentations modernes qui les stimulent par trop dangereusement.

Il convient de prendre du recul… et de réaliser qu’il a fallu des centaines de millions d’années de bricolage évolutif [2], accumulant redondances et contradictions dans la complexité physiologique, pour aboutir au résultat biologique actuel. Il ne faut donc pas bousculer, à l’aveugle de surcroît, cet équilibre délicat.

[1] Cf. les textes nos 12, 95, 96 et 97 de Pensées pour une saison – Hiver : « Le bâillement de réveil – un cas d’évolution surprise », « Systèmes nerveux dans un organisme, développements parallèles », « Choc vagal, avantage évolutif inattendu », enfin « Le combat à mort du chat et celui des défenseurs français de Verdun ».

[2] Cf. les textes no 20 (« Ailes et plumes des origines ») et no 95 op. cit., et cf. supra le texte no 104, « Le réveil de formes trop anciennes ».

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Comment l’on devient ce que l’on est

septembre 30th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #101.

Génoï oïos éssi mathôn. – Sois ce que tu sais être. – Pindare [518-438], poète lyrique de la Grèce antique, 2e Pythique (468 AEC), v. 72

Il y a quatre décennies, tout jeune étudiant à Genève, j’étais assis sur un banc au parc des Bastions. Je lisais avec une concentration soutenue, par moments avec perplexité, le tout fraîchement publié Comment devient-on ce que l’on est ? (1978), l’auto-biographie de Louis Pauwels [1920-1997], “ spiritualiste prométhéen ” et chantre du “ réalisme fantastique ”. Son titre m’avait interpellé, comme on disait à l’époque.

Un autre étudiant m’apostropha alors, comment pouvait-on lire une telle “ débilité  ? Décontenancé, je lui demandai s’il avait lu le livre. Il me dit que non, car la réputation de l’auteur était mauvaise et puis rien que par le titre on savait qu’il s’agissait d’un livre idiot ! Je répondis que je ne pensais pas que ce fût le cas et j’allais ajouter que je ne voyais pas ce qu’il voulait dire à propos du titre, mais il me regarda avec dédain et s’éloigna aussitôt en ricanant. Je haussai mentalement les épaules et repris ma lecture… Les chiens aboient la caravane passe.

Néanmoins… je restais intrigué par cette différence de perception quant à l’intelligence du titre. Je m’arrêtais de temps en temps, méditais sous la frondaison des beaux platanes… et je n’arrivais pas à mettre le doigt sur un début d’entendement. Pourquoi ce… disons, camarade, trouvait-il aussi stupide une question que pour ma part j’estimais fondamentale ? Quelque chose m’échappait.

Au cours de ma lecture attentive, je notais la mention répétée d’un certain Nietzsche [1844-1900]. Pauwels avait d’ailleurs placé en exergue de son livre un extrait d’un ouvrage de celui-ci au titre curieux, Ecce homo, extrait qui lui avait fourni le titre même de sa propre auto-biographie. La question existentielle de ce Nietzsche, donc de Pauwels, me semblait très pertinente, mais je n’avais jamais entendu parler de cet auteur germanique durant les (hélas trop rares) cours de philosophie reçus à l’institut catholique que j’avais fréquenté – j’étais en filière Bac C, donc très axée sur la mathématique et la physique, mais quand même, c’est presque saugrenu quand on y pense… ça, c’était une éducation orientée !

Peu après, je remarquai à l’inégalable librairie Unilivres (sise Rue de-Candolle, juste en face de ce que l’on appelait “ Uni I ”) un ouvrage en allemand dont le titre et le nom de l’auteur captèrent aussitôt mon attention : Ecce homo, de Nietzsche (1888). Puis je remarquai le sous-titre : “ Wie man wird, was man ist ”.

Comment l’on devient ce que l’on est.

En un éclair, je compris.

Dans les décennies qui suivraient, j’allais découvrir avec ce penseur atypique et fécond un univers intellectuel foisonnant et stimulant. Le sous-titre de son auto-biographie Ecce homo reprenait une partie de l’incipit au chapitre II.9 de celle-ci. Je noterais au cours de mes lectures nietzschéennes que l’auteur avait en fait repris une de ses propres fulgurances, énoncée en 1881 déjà dans Die fröhliche Wissenschaft (Le Gai Savoir, #270) : “ Was sagt dein Gewissen ? Du sollst der werden, der du bist. 

Que dit ta conscience ? Tu dois devenir celui que tu es.

Langue allemande, langue française… Je saisissais enfin pourquoi le titre de Pauwels avait ainsi fait naître le mépris chez mon collègue. Nous ne comprenions pas la phrase de la même façon, tout simplement.

Bien que dans le sous-titre de Ecce homo les deux verbes fussent conjugués au temps présent, en allemand “ werden ” présente de façon générale une connotation de futur par rapport au verbe “ sein ” (“ être ”). C’est aussi le cas en français pour “ devenir ” par rapport à “ être ”… et c’est ainsi que je l’avais spontanément compris ; toutefois, dans cette dernière langue “ on devient ” peut, également, avoir une connotation, que l’on peut trouver plus triviale dans ce contexte, de passé… signifiant implicitement “ on est devenu ”.

On pouvait donc partir d’un malentendu a priori et mal interpréter le livre de Pauwels, une auto-biographie qui se révélait authentique dans le ton comme dans l’esprit… même si les idées trop souvent s’avéraient aussi nébuleuses qu’abruptes. À la lecture de sa prose robuste toutefois, il m’a semblé que, par son usage du temps présent pour le verbe “ devenir ”, cet auteur singulier ne voulait pas simplement signifier : comment est-il devenu ce qu’il est… mais bien, de façon plus nietzschéenne et plus dialectique : comment deviendra-t-on ce que l’on est – déjà.

Que dit ta voix intérieure ? Tu dois devenir ce que tu es.

Après Nietzsche, le poète anglais Robin Skelton [1925-1997], un néo-paganiste, saura reformuler avec une intensité renouvelée ce fondement immuable de toute existence : “ Each man must turn what is into what is, or he will die. 

Tout homme doit transformer ce qui est en ce qui est, sinon il meurt.

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La motivation

septembre 28th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #98.

On ne peut pas vraiment motiver les gens. On peut leur prodiguer une première impulsion dans une certaine direction, ensuite l’encourager en les inspirant de façon régulière et fiable. Leur motivation leur est propre, très différente d’un individu à l’autre.

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L’enfant dans la littérature

septembre 27th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #97.

L’enfant est relativement peu présent dans la littérature française ou allemande, beaucoup plus dans la littérature anglaise ou russe. Chez les romanciers anglophones, le traitement de l’enfance oscille trop souvent entre la brutalité, la mièvrerie et la froideur, rares sont-ils ceux qui trouvent le ton juste.

Par contre, chez les auteurs russes, il se révèle d’une finesse et d’une véracité exceptionnelles : on garde un souvenir profond de ces quatre merveilles d’intelligence et de délicatesse que sont Petit Héros de Dostoyevskiy (1849), Enfance de Tolstoy (1852), Premier Amour de Tourgyenyev (1860) et La Steppe de Tshyechov (1888).

Même dans la littérature plus récente, les écrivains russes savent encore exprimer l’état d’esprit d’un enfant ; par exemple les frères Strougatskiy, dans le chapitre « Le maître de Lev Abalkine » d’un étrange roman d’anticipation, Le Scarabée dans la fourmilière (1979).

Évidemment, il est préférable d’aborder ces chefs-d’œuvre littéraires par l’intermédiaire de bonnes traductions. Certaines s’avèrent excellentes, des œuvres en elles-mêmes. Parfois, on a la chance de pouvoir comparer plusieurs bonnes traductions françaises d’un texte russe. Alors, non seulement reçoit-on le cadeau d’un récit intrinsèquement passionnant, mais également a-t-on le privilège de participer au filtrage linguistique et à l’interprétation psychologique d’un bon traducteur, qui se trouve avoir deux âmes : une russe et une française. De surcroît, si les traductions ont été faites à des décennies d’écart, l’amoureux de la langue française se voit gratifié d’une expérience très instructive : voir celle-ci évoluer dans le temps.

J’ai pour ma part lu et relu trois traductions d’un récit très singulier, écrit en prison par Dostoyevskiy en 1849, mais qui ne sera publié qu’en 1857, avec attribution à un certain M-i

Le récit, Petit Héros, évoquant les émois d’un enfant, conjugue délicatesse et finesse de sentiments à un suspense presqu’insoutenable, même à la relecture. Il s’agit d’un de ces récits bénis, qu’on peut lire et relire, car ils sont écrits à de multiples niveaux d’interprétation. Ainsi certains tableaux, à chaque fois qu’on les regarde, offrent-ils le même don de régénération à leur contemplateur.

Si l’on écoute bien, on peut déceler le génie d’une composition musicale malgré une mauvaise interprétation. De façon analogue, il est probable que pour un récit aussi achevé même une mauvaise traduction n’empêcherait pas le lecteur d’entrevoir le caractère exceptionnel du texte.

Heureusement pour les lecteurs, la toute première traduction française qui fut faite de ce chef-d’œuvre de la littérature russe, par Elise Fétissoff en 1886, titrée Le Petit Héros, s’avérait de très haute tenue. Le français a un côté maintenant légèrement suranné, mais que l’on peut estimer convenir parfaitement à ce récit d’une autre époque. Il est ainsi délicieux, par exemple, de voir écrit « bluet » pour bleuet – orthographie… vieillie, certes, correcte néanmoins.

En 1942, Elisabeth Bellenson traduisit à son tour le récit, sous le même titre. Texte de haute qualité également, dont il n’est pas certain qu’il apportait plus que la première traduction, mais dans lequel on note un usage de la langue française légèrement différent – forcément, à cinquante-six ans d’intervalle…

Cinquante-cinq ans plus tard, en 1997, soit cent quarante ans après sa première publication en russe, le traducteur Bernard Kreise produisait une merveille, avec son recueil Le Rêve d’un homme ridicule et autres nouvelles, qui incluait Un petit héros. On notera que dans le titre en russe il n’y a pas d’article déterminatif : c’est Petit Héros, littéralement. Toutefois, la langue russe ignorant de façon générale l’article déterminatif, le traducteur est libre d’ajouter « Le » ou « Un » s’il le souhaite.

L’article indéfini induit, dès l’abord de la nouvelle, une impression de simplicité et d’humilité, d’autant qu’il libère des deux majuscules qu’autrement l’on doit donner dans le titre à petit héros. Ce choix de traduction engendre un état d’esprit spécifique chez le lecteur francophone… et d’un seul mot Kreise a su exprimer, de la sorte, une nuance de ton correspondant très bien au récit de Dostoyevskiy.

À l’instar des deux pionnières, Kreise s’est fait un très bon relais de « cette nouvelle pleine de charme et de tendresse » (selon ses propres termes, parfaitement choisis). Cela, avec une sensibilité achevée, sans aucune mièvrerie. En ajoutant, toutefois, une double nuance, cruciale, que l’on percevait moins dans les deux premières traductions. Ce récit est celui d’un souvenir d’enfance, raconté par un adulte modeste et intelligent ; la délicatesse de sentiments et d’expression de celui-ci est finement rendue dans les trois traductions. Kreise réussit à nous faire entrevoir, de surcroît, le petit garçon qu’il était, s’approchant de ses onze ans : ce petit bonhomme naïf, lui aussi, s’exprime par moments au cours de cette évocation par un adulte mûr.

Ainsi, malgré son choix de faire des paragraphes beaucoup trop longs, rendant la lecture difficile, Kreise a offert une traduction admirable, à la hauteur d’un texte extraordinaire… Il ajoutait, en 1997, pour le plus grand bonheur de son lecteur francophone, un Avant-propos, des notices et des notes, hautement instructifs et captivants. Il est dommage que ce livre soit pratiquement introuvable.

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Les étrangers, les nourrissons, les esclaves, les femmes… et les animaux

septembre 26th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #94.

Les discussions sur l’éthique se font rarement sur des fondements solides et généralement manquent de cohérence. Le plus souvent, elles vont dans un seul sens, défini d’office, obligatoire et incontournable. Ou alors, elles se révèlent vagues et informes, partant dans tous les sens. Les préjugés évidents ou la confusion des esprits n’empêchent nullement les locuteurs d’assener leurs convictions comme des évidences “ naturelles ” – surtout lorsqu’elles sont en rapport avec de “ grandes causes ”.

Pourtant, le flou et l’enthousiasme, en particulier lorsqu’ils sont combinés, forment un obstacle majeur à la raison, par là empêchent de clairement distinguer le bien du mal. Car le bien ne se détermine pas par la fougue d’une adhésion et ne se mesure pas à l’aune de celle-ci.

Pour clarifier socratiquement les idées à ce sujet, il est utile de reprendre la discussion à la base, en évoquant… les escargots que l’on écrase sur son chemin, délibérément ou par manque d’attention. Réactions immédiates : “ Oui mais là ça n’est pas important ! ”, “ Il ne faut pas exagérer ! 

On peut alors relever que, dans ces conditions, un acte ne semble pas considéré comme contraire à l’éthique par l’état d’esprit malsain qu’il a dévoilé chez le perpétrant (la brutalité, la méchanceté, la perversité, la cruauté…), mais plutôt en fonction de la catégorie de la victime. Or cet angle de vision ne concerne pas l’éthique mais est affaire de morale, à savoir ce qui se trouve acceptable selon les mœurs sociales d’usage.

En d’autres termes : tabou, pas tabou.

À titre d’illustration dialectique de ce dernier point, on rappellera que, sauf chez des philosophes à la sagesse notable, tel Théophraste d’Erèse [371-287] (le successeur d’Aristote à la tête du Lycée d’Athènes, en 322 AEC), les anciens Grecs eux-mêmes, en général, ne comprenaient pas que l’on puisse se préoccuper d’animaux, de femmes, d’esclaves, de nourrissons… et d’étrangers.

En entendant cela au début du XVIIIe siècle, celui des Lumières, l’auditeur commun s’exclamait : “ Quoi ?! Ils ne se préoccupaient pas du sort des étrangers ?! ” Au début du XIXe siècle, c’était : “ Quoi ?! Ils ne se préoccupaient pas des nourrissons et des étrangers ?! ” Au début du XXe siècle, c’était : “ Quoi ?! Ils ne se préoccupaient pas des esclaves, des nourrissons et des étrangers ?! ” En ce début de XXIe siècle, c’est : “ Quoi ?! Ils ne se préoccupaient pas des femmes, des esclaves, des nourrissons et des étrangers ?! C’est vrai ça ?! 

On remarquera, dans chacune de ces réactions d’indignation, que les animaux, encore et toujours, sont systématiquement passés à l’as… voire à la trappe.

L’air de rien, c’est une petite démonstration philosophique cruciale qui vient d’être faite… en préalable maïeutique à une éventuelle discussion, sérieuse, à propos d’éthique. Car elle permet de montrer du doigt comment cette dernière, dans les faits, est trop souvent considérée comme un autre mot pour la morale : ce qui est bon ou mauvais selon les mœurs en vigueur.

O tempora… Peut-on espérer du genre humain qu’un jour on aille au-delà de cette approche commode et paresseuse ? Et qu’enfin l’on traite les animaux comme des frères ?

Peut-être au XXIIe siècle ?

Quoique… il est peu probable qu’ils seront alors traités en frères. Plus vraisemblablement, ils seront dans l’ensemble moins maltraités simplement parce que dans le futur on en côtoiera encore moins qu’à présent. Les animaux seront toujours traités en objets, mais ils seront alors gratifiés d’une valeur de rareté. D’ici là… on aura constitué une nouvelle catégorie d’êtres sensibles voire intelligents, sur lesquels les mauvais instincts s’acharneront, dans la licence morale la plus totale : des robots.

On persistera à ne pas définir les actes contraires à l’éthique en fonction de l’état d’esprit malsain du perpétrateur, mais selon l’objet de l’acte : permis, pas permis.

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C’est le comportement général qui fait le bien le plus fiable

septembre 24th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #91.

À défaut de pouvoir connaître tous ses actes… c’est à son attitude générale qu’on se trouve en mesure de reconnaître un homme fiable. On précise bien : non pas à ses intentions spécifiques et déclarées.

Confieriez-vous plus volontiers votre chat à quelqu’un de bon, d’entièrement bon, ne faisant de mal à nul être parce que tel s’avère son comportement général dans la vie… ou bien à quelqu’un proclamant son amour des chats mais, ne serait-ce que verbalement ou dans ses attitudes corporelles, se révélant souvent hostile à l’égard d’autres êtres ?

Maître Mô, un sage chinois du Ve siècle AEC, se méfiait des passionnés du bien sélectif… car l’homme, le plus souvent, se révèle une bête dont la morale est à géométrie par trop variable. On sait mieux à qui l’on a affaire, en présence d’un homme s’avérant simplement ce que son comportement est, à l’instar des animaux… plutôt qu’en présence d’un autre qui agence sa vie sur son adhésion à une vision, une idée ou un projet. Car une telle base, qu’elle soit idéologique ou programmatique, se révèle très instable.

Il y a encore plus mouvant que le bien construit sur des idées : il y a celui reposant sur une dite “ amitié ”. Un homme qui hait les chats, pour des raisons d’écologisme dit-il, découvre que vous avez adopté un chaton… sa fureur est soudain si intense qu’elle s’exprime par un violent mouvement de répulsion, par son regard furieux. Il explose : “ Moi, je tue les chats ! – Ah oui ? – Oui ! mais je ne tuerai pas le tien, parce que tu es un ami ! – Ah ha… 

Vous reposeriez-vous, vous-même, sur une telle déclaration ? Vous seriez bien imprudent… Car son corollaire, c’est que le jour où votre interlocuteur ne vous considérera plus comme “ un ami ”, alors il estimera que la chasse lui est ouverte en ce qui vous concerne, vous et vos proches. Il vaut donc mieux rester circonspect devant les proclamations d’amitié… car l’amitié ne se dit pas, elle se vit. Quand, de plus, celle-ci est très conditionnelle, “ with qualifiers ” (avec des réserves), comme l’énoncent les Anglais, alors… méfiance.

 Mais tant qu’on est amis, c’est bon, non ? On peut voir venir. ” – Eh bien… non. La vie enseigne qu’une “ amitié ” peut être encore plus labile qu’une adhésion à une morale ou une idéologie… De plus, comme la plupart ne s’embarrassent guère de scrupules envers ceux qu’ils considèrent désormais comme des traîtres (“ Il avait mon amitié, il a démérité ! ”), ils ne préviendront pas nécessairement de leur changement de sentiment à votre égard…

Par conséquent, il est préférable qu’un tel “ ami ” ne soit plus admis sur le territoire du chat, par extension dans le vôtre.

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Notre amitié…

septembre 24th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #90.

L’amitié est sentiment pudique. Aussi faut-il considérer avec méfiance ceux qui, trop facilement, proclament : “ notre amitié ! ”. Souvent, ils mentent sur leurs sentiments réels… et sont enclins à manipuler ceux de leur vis-à-vis.

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L’enfant déçu par deux livres

septembre 23rd, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #89.

Le lien quasi organique entre un livre et sa couverture nourrit des processus mentaux souvent inattendus. Nombre de livres cruciaux dans mon existence ont été lus et relus malgré des couvertures qui me déplaisaient – en passant outre, j’avais appris de cette façon, très jeune, à faire la part des choses.

Le phénomène inverse, moins fréquent, causait une difficulté d’un autre ordre. Deux couvertures de livres avaient ainsi beaucoup plu au petit enfant… mais leur contenu m’avait cruellement déçu. De fait, j’avais éprouvé un véritable sentiment de tromperie sur la marchandise. Le premier avait été La Fortune de Gaspard, de la Comtesse de Ségur, en Nouvelle Bibliothèque rose (no 15, 1959). Le second, Le Club des cinq et les Papillons, d’Enid Blyton, également en Nouvelle Bibliothèque rose (no 96, 1962).

Dans le premier cas, j’étais resté des mois à rêver devant ce livre quand, au Soudan, je venais en visite chez une de mes tantes, dans l’espoir qu’elle veuille bien me le prêter. L’aquarelle d’André Pécoud faisait naître chez moi un sentiment de rêverie sérieuse et harmonieuse, empreinte de liberté… car le garçon lisait dans un pré, assis en oblique, les jambes élégamment repliées sous lui, tenant délicatement de sa main droite le livre illustré posé sur ses cuisses, s’appuyant de la main gauche contre le sol, un deuxième livre posé tout près, en réserve, sur l’herbe verte. J’imaginais que la fortune de Gaspard était faite de ses livres et de ses rêves. Quelle déception à la lecture : ce n’était qu’une vulgaire histoire d’argent… celle d’un nouveau Rastignac monté à Paris pour y faire fortune !

Dans le second cas, l’illustratrice Jeanne Hives avait peint en couleurs vives de jolis papillons et très bien esquissé des corps en mouvement, créant un sentiment de liberté champêtre en harmonie avec le contenu que le titre évoquait pour moi (je faisais l’impasse sur les filets à papillons). Durant des mois, jusqu’à ce qu’enfin il me fût prêté, je rêvais de grands papillons, comme on pouvait encore en admirer au Soudan, à l’époque. Hélas… Il s’agissait d’une « ferme des Papillons ». Par ailleurs, le récit, à mon goût par trop convenu (même pour l’enfant que j’étais) et au contenu plutôt étique, ne présentait qu’un rapport très ténu avec les papillons. Ce n’était qu’une laborieuse histoire d’espionnage.

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De la mesure en toutes choses, y compris dans les vertus

septembre 22nd, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #85.

De l’Orient à l’Occident, l’Antiquité avait su développer, lentement, au prix d’immenses efforts intellectuels et moraux, le sens de la mesure en toute chose. Ç’avait été un fondement de l’enseignement de nombreux philosophes grecs, ainsi que de celui du Buddha, philosophe indien du VIe siècle AEC. Un philosophe chinois du Ve siècle AEC, Maître Mo ou Mozi, philosophe de l’amour universel, l’avait également compris, qui insistait sur cette notion que la compassion excessivement partiale se révélait tout autant un problème éthique… que l’absence de compassion.

En s’imposant, le christianisme balayait ce sens de la mesure. Dorénavant, certaines vertus seront considérées comme pouvant, comme devant croître sans limites… entre autres l’amour et la compassion.

Par ce traitement, les vertus en question perdaient leur qualité… de vertu. Car une compassion qui n’est pas équilibrée par l’équanimité et par l’amour, ainsi que par la capacité à aussi partager la joie, devient vite une affliction morbide. De son côté, l’amour sans compassion, sans joie ou sans équanimité, s’avère facilement un délire hystérique et souvent violent. Quant à la joie systématique, sans perception de la réalité des souffrances dans lequel le monde baigne, sans amour, sans équanimité… elle ne se révèle qu’irréflexion et superficialité. Enfin, l’équanimité, dénuée de compassion, d’amour et de joie, n’est que prétention et froideur.

De plus : ces quatre grandes vertus, que les bouddhistes si justement considèrent ensemble, chacune équilibrant le tout en limitant les autres (les quatre brahmavihârâ), ne sont pas grand-chose sans une vision acérée des réalités du monde, et sans connaissance préalable de celles-ci. Une telle vision lucide et pénétrante, partout et en tout, rappelle, constamment, qu’aucun bien ne peut croître indéfiniment, sans devenir un mal, passé un certain seuil !

En résumé : rien de bon, ou de bien, ne peut se développer sans limites, et la perception de celles-ci nécessite une vision claire des choses. On comprendra que les bouddhistes insistent sur la vision juste, pour commencer…

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L’amour en justification du mal

septembre 21st, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #84.

L’amour se révèle souvent un moteur surpuissant poussant à agir dans un sens contraire à l’éthique – pour faire du mal, en définitive. On aime un tel, ou tel peuple, ou telle espèce… on s’estime alors moralement habilité à commettre toutes les exactions possibles contre le concurrent ou l’adversaire de l’objet d’amour exclusif.

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La fin ne justifie pas les moyens

septembre 21st, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #82.

Indifféremment de la cause qu’ils sont censés servir, les moyens utilisés forment une question cruciale… et éminemment révélatrice. Aussi, avant même d’interroger le fondement d’une action, ou d’une idéologie, il est souvent très utile d’étudier de près les moyens dont elle use. Éthiquement, certes, mais aussi dans leur qualité opérante. De fait, quel que soit l’objectif déclaré, il suffit de déceler un seul moyen malsain ou cruel pour prédire que le résultat, auquel il contribue intrinsèquement, sera pourri.

Sans aborder l’aspect éthique des fins recherchées elles-mêmes, voici, pour illustrer le propos, quatre exemples de moyens utilisés qui s’avèrent ou se sont avérés assurément malsains.

Pourquoi, exactement, infliger des sévices aussi cruels à ceux-là accusés d’hérésie ou de sorcellerie ? Pourquoi, exactement, massacrer les familles royales et leurs proches, et de ces façons-là, à l’occasion des deux grandes révolutions européennes, la française et la bolchévique ? Pourquoi, exactement, torturer longuement et systématiquement des prisonniers ? Pourquoi, exactement, utiliser des poisons ou des pièges atroces pour faire périr, dans de longues agonies, les loups et les coyotes d’Amérique du nord ainsi que les renards et les chats sauvages d’Australie ? – Parce qu’il le fallait ! Parce qu’il le faut ! entend-on… et puis c’est tout, en définitive.

Cette “ justification ” s’avère indigente… On aura compris que l’honnête homme juge cruels de tels moyens, par là qu’ils ne peuvent, jamais, se justifier éthiquement. On insistera, aussi, sur le fait qu’ils s’avèrent inopérants pour la “ cause ”, en définitive. En effet, que pouvait-il, que peut-il advenir d’un mouvement ou d’une société coupables de tels crimes ? Rien de bon. Ils auront instillé, dans leurs propres esprits, une toxine sournoise.

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Malheur aux doux !

septembre 20th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #81.

On reste frappé par la férocité de ceux qui se réclament de “ causes ”, lorsqu’ils estiment devoir servir celles-ci par des sacrifices sanglants.

Par exemple, la férocité des “ humanistes ” et des “ religieux ” à l’égard des animaux : aimer “ l’homme ” nécessiterait la haine “ des bêtes ”. Ou celle des “ real patriots ” (vrais patriotes), selon qui on peut, on doit tout faire à un ennemi, prisonniers inclus. Ou celle des “ bons croyants ”, à l’égard des infidèles, “ kafirs ” et autres mécréants, qu’ils estiment dignes de sévices. Ou encore celle des “ bird lovers ” (amoureux des oiseaux), qui approuvent les pires violences infligées aux chats. La liste semble interminable…

Un cas intéressant est celui des “ partisans de l’avortement ”… À l’origine, il s’agissait d’une ellipse pour “ partisans de la légalisation de l’avortement  ; une tournure de phrase abrégée qui s’imposa seule sur le plan langagier lorsque la légalisation fut acquise. Et qui s’imposa d’autant plus facilement qu’il y avait, qu’il y a toujours, réellement… des partisans de cette tragédie pour une femme, de cette horreur pour un fœtus !

De façon générale, nombreux sont les humains qui font dépendre leur part, affichée, de bons sentiments obligés, d’une autre part, beaucoup plus vaste et encore plus obligée, de mauvais sentiments. Férocité bien pensante, que ses adeptes veulent rendre obligatoire pour tout le monde. Ils sont virulemment opposés aux injonctions : “ Bienheureux les doux ”, ou “ Vivre et laisser vivre ”. Dans leur esprit, c’est plutôt : malheur aux doux !

Une simple réticence à ce niveau, même d’ordre général, suffit pour faire de l’honnête homme, à leurs yeux, un traître.

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Le sérieux et le rire

septembre 19th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #78.

Une culture multi-millénaire à l’instar de celle des Anciens Égyptiens, des peuples aussi éloignés l’un de l’autre que les Yakoutes de Sibérie et les Peuhls du Sahel, des individus aussi différents l’un de l’autre que Nietzsche (« Un homme a mûri quand il a retrouvé le sérieux qu’il mettait dans ses jeux, enfant. » – Par-delà bien et mal, 94) et Péguy (« Qu’est-ce qu’un prophète ? Un homme indigné. […] J’ai toujours tout pris au sérieux. »)… ont en commun d’avoir parfaitement compris que le sérieux est fondement constitutif de la sagesse et de la dignité.

Le sérieux authentique – qui s’avère toujours simple et en cela entièrement distinct du compassé – est sève de régénérescence.

Pour autant qu’il soit associé au tact et à l’entregent, donc à l’humour, il permet la vision juste et soutient la force morale. Dans un sourire léger. Alors que les ricanements canailles, depuis la nuit des temps, entraînent les humains dans des boyaux pestilentiels, étouffant non seulement la pensée vivifiante, mais aussi le rire vrai, qui est soleil de bonté.

Nietzsche encore : « J’en suis encore à chercher un seul Allemand avec qui je puisse être sérieux à ma manière – et à plus forte raison un Allemand avec qui je puisse être gai ! » – Crépuscule des idoles, VIII.3.

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Il y a mensonge et mensonge

septembre 18th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #76.

Entre égaux, mais surtout lorsqu’il est pratiqué au détriment d’êtres plus faibles, plus vulnérables ou plus naïfs, comme les enfants ou les animaux, ou les malades, ou les vieux, ou bien au détriment de ceux-là qui sont situés plus bas que soi dans une hiérarchie… le mensonge déshonore celui qui le pratique.

Dans les autres cas, pas obligatoirement… car il fait partie des mécanismes de défense utiles à la survie, ainsi qu’aux nécessités liées à la protection de ce que l’on aime, et de ceux-là qui comptent le plus pour soi. En ce sens-là, le mensonge, lorsqu’il est pratiqué à l’égard des puissants, se révèle même souvent éthiquement nécessaire.

Il n’est donc pas automatiquement indigne.

Évidemment, cette conception éthique de la vérité, basée sur la noblesse de cœur de l’individu et qui ne se trouve pas subordonnée à la raison du plus fort, va à l’encontre de la morale inculquée par le pouvoir établi… Qui estime, pour sa part, que le pire mensonge, justement, est celui pratiqué face à un supérieur hiérarchique, à une institution suprême ou à l’État !

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L’homme seul… etc.

septembre 18th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #75.

Les éleveurs et les utilisateurs d’animaux jugent a priori moral le sort pénible ou odieux de leurs victimes, car, selon eux, “ c’est pour cela qu’on en fait l’élevage ” (“ they have been bred for that purpose ”). Ainsi, le contrôle d’un moyen (l’élevage) justifierait toutes les fins que celui-ci permet.

À ce titre, que d’horreurs ne commet-on pas à l’encontre des animaux domestiques… Qu’ils soient, comme on dit, des “ animaux de rapport ” ou des “ animaux de compagnie ”.

Certaines personnes toutefois, habitées de l’esprit de compassion et d’une saine rectitude morale, se révèlent particulièrement conscientes de cette ignominie à grande échelle. De tous temps, sous tous les cieux, il s’en est trouvé. On entendait déjà, chez les anciens Grecs, les arguments de quelques philosophes honnêtes, tel Théophraste d’Erèse [371-287] (successeur d’Aristote à la tête du Lycée d’Athènes, en 322 AEC), s’élevant contre l’esclavage des hommes ou des animaux – qu’ils soient élevés dans cet objectif ou bien conquis sur le monde.

Hélas, on n’écoutait guère ces grands sages… et leurs ouvrages furent même parmi les premiers à se trouver systématiquement détruits par le christianisme triomphant. Seul l’homme (chrétien) comptait : il était, lui seul, à l’image de Dieu, ergo il avait tous les droits et tous les pouvoirs sur l’ensemble de la dite “ Création ”, faite par Lui pour lui.

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Le tabou et l’éthique

septembre 18th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #74.

Avec toute une gradation dans les exemples fournis par l’histoire humaine, les groupements organisés d’une certaine importance peuvent être distingués soit comme des empires, fondés sur la force d’abord, soit comme des civilisations, fondées sur la loi d’abord.

La loi, laïque ou religieuse, se voulant fondée soit sur la légitimité des origines, soit sur la légitimité que procure le respect des règles morales, voire le respect de règles éthiques.

La force attire en nombre parce qu’elle est force, rien de plus ; aussi, quand elle faiblit, pour l’une ou l’autre raison, l’empire peut-il être rapidement balayé. Alors que la morale et l’éthique rassemblent dans le succès comme dans l’épreuve : le bien mérite qu’on le soutienne quand il est menacé ; aussi les civilisations sont-elles plus résilientes et plus durables, trouvant en leur sein des appuis nombreux dans l’épreuve, et plus facilement des alliés à l’extérieur.

Il y a morale et éthique, toutefois…

La plupart des civilisations qui se voulaient fondées sur la morale ont duré moins longtemps qu’elles ne l’auraient pu (leur effritement social, puis leur effondrement politique, s’étant principalement fait depuis l’intérieur). La raison essentielle de cette relative brièveté : leur morale était friable et bancale – car elle n’était pas, avant tout, fondée sur la dénonciation de la cruauté. Mais plutôt sur la dénonciation morale de tel ou tel acte quant à son objet : on ne doit pas tuer ceci, on ne doit pas manger cela, on doit assister un tel dans la peine – mais surtout pas un tel… etc.

C’est toujours le cas : la mentalité ou l’état mental du sujet commettant un crime sont rarement évoqués, ou alors seulement pour définir légalement des circonstances atténuantes.

Ainsi, encore et toujours, en dehors de la complaisance voyeuriste à décrire dans le détail des horreurs, la notion même de cruauté se trouve à peine mentionnée dans les comptes rendus légaux et dans les tribunaux. Ce qui est mis en avant dans la dénonciation de certains actes abjects c’est leur catégorie d’objet : “ génocide ”, “ racisme ”, “ anti-sémitisme ”, “ sexisme ”, “ pédophilie ”… Les objets d’interdiction et les obligations sociales changent avec le temps, on s’imagine dès lors avoir accompli un progrès… mais tout cela reste très primitif : on se trouve toujours dans une idéologie du tabou. Pas dans une pensée éthique.

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L’homme est bon, tout de même !

septembre 17th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #71.

 L’homme est bon, tout de même ! 

Cela étant dit avec un tremblement dans la voix et une larme à l’œil.

Ah oui ? Comment cela ? Voici l’histoire : un veau est né avec deux pattes seulement, alors on lui en a greffé deux ! Hmm… Et d’où venaient ces deux pattes qu’on lui a greffées ? Perplexité, confusion… vu comme ça, évidemment… Oh ! d’un veau destiné à la boucherie, pardi !

C’est ça : pris d’une main, donné de l’autre. Une éthique semblant satisfaire la plupart, leur main droite ignorant ce que la gauche commet. De fait, c’est pire que cela : leur main gauche accumule les crimes… alors que la droite agit, un peu plus aimablement que la senestre, seulement de temps à autre.

Ainsi, les pleurnicheurs complaisants font mine d’ignorer qu’au moment même où ces chirurgiens s’amusaient à expérimenter, sur une victime non consentante, en définitive… des millions d’autres veaux se trouvaient torturés, mentalement et physiquement, par l’industrie de la viande.

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Reconnaître le méchant

septembre 16th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #70.

Demandez comment on reconnaît un être foncièrement méchant. La réponse la plus spontanée est qu’il a l’air méchant. Insistez pour un peu plus de réflexion… et vous entendrez qu’un méchant ne semble pas aimer beaucoup de monde. C’est une réponse qui n’est pas dénuée de bon sens apparent… mais qui se révèle fondamentalement erronée (car il y a des êtres qui n’aiment pas grand monde, sans être méchants pour autant).

Le trait distinctif du méchant, par rapport aux autres, c’est qu’il cherche à nuire… et qu’il agit en ce sens (la parole délibérée étant une forme d’action).

Les autres, soit ils y pensent (un peu) mais s’avèrent trop faibles ou indolents pour agir… soit ils n’y pensent pas, se bornant à éviter de croiser ou de côtoyer ceux qui les mettent mal à l’aise. Parmi eux, les plus nombreux appartiennent à la première catégorie.

Ceux de la seconde catégorie, plus rares, ne sont pas nécessairement gentils avec tout le monde, même si eux-mêmes en jugent autrement – simplement, ils vont leur propre chemin (parfois jouant des coudes… mais sans penser à mal). C’est tout. D’un point de vue moral, c’est déjà assez bien.

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Comment les bons… deviennent mauvais

septembre 16th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #69.

Dans l’histoire des sociétés humaines, il s’avère courant qu’un groupe, moins vicieux et moins violent qu’un autre auquel il se trouve sans cesse confronté, finisse par adopter les méthodes mêmes de son ennemi si déplaisant. Ce processus se fait lentement au départ, promu par quelques sadiques au sein du “ camp des bons ”, qui aimeraient bien pouvoir faire la même chose qu’en face, pour rigoler…

Grâce à la paresse intellectuelle, morale et physique de la majorité des membres de leur propre camp, les méthodes bêtes et cruelles s’imposent petit à petit au sein de celui-ci, puis brutalement quand la lâcheté générale prend le relais de la paresse générale. Les vrais gentils, les membres les plus intelligents du “ bon camp ”, se découragent et, un à un, s’en vont, écœurés de se retrouver de plus en plus confrontés au culte de la brutalité et du vice dans leur propre camp.

Ce schéma général de déroulement se révèle tellement systématique, dans l’histoire des hommes… qu’il dit tout de l’immoralité essentielle de leurs sociétés.

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Le traitement des prisonniers

septembre 16th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #68.

Lors de la seconde guerre mondiale, une différence, cruciale, entre les fous furieux nazis et même les plus durs des staliniens, pouvait être perçue dans leur traitement respectif des prisonniers.

Dans les instructions et commentaires soviétiques, on lit souvent, à propos de leurs innombrables prisonniers allemands, roumains, hongrois ou italiens : “ On ne peut quand même pas tous les exécuter ?! ” Et ils se creusaient la tête… pour finalement relâcher la plupart d’entre eux, quelque temps après leur victoire finale en 1945.

Par contre, chez les nazis, à tous les niveaux hiérarchiques, c’était, à propos de leurs centaines de milliers de prisonniers russes (mais aussi des civils qui n’avaient pu les fuir), tout au long de la guerre qu’ils avaient déclenchée : “ Il faut les exterminer sans pitié, selon certaines modalités, voici des instructions en rapport. ” Et ils accomplissaient ces instructions.

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Le remords, sous les monuments

septembre 15th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #66.

La démesure narcissique est à l’origine de nombreux monuments, cela va de soi.

Il y a aussi la volonté de rendre hommage. On pense moins souvent à un autre fondement : le remords. Derrière le mausolée du Taj-Mahal érigé pour dame Mumtaz Mahal, derrière les innombrables bâtiments dédiés au jeune Antinoüs (sans oublier les pièces de monnaie émises à son effigie !)… on soupçonne un remords dans l’âme de ces deux empereurs, chez Jahan le Moghol comme chez Hadrien le Romain.

Il est un récit mythique parfaitement démonstratif de cette réalité psychologique. Peu avant son expédition de pillage contre Troie, le roi de Mycènes, Agamemnon, de la maudite famille des Atrides, se révéla, à son habitude, avide et brutal, en poursuivant de ses assiduités un adolescent, Argynnos. Affolé, le malheureux se précipita dans le fleuve Céphise (Khèphisos), où il se noya. Même cette grande brute égoïste d’Agamemnon en conçut alors du remords et, pour se dédouaner, il fit construire sur la rivière un petit sanctuaire, dédié à Aphrodite Argennis.

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Les dénigreurs grincheux

septembre 15th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #65.

Combien de dénigreurs systématiques, moralisateurs grincheux, semblent consacrer tout leur temps et toute leur énergie à gêner l’action, ou à détruire l’œuvre des autres ; les empêchant de bien faire, les empêchant de faire du bien, de faire le bien.

Parce qu’ils estiment que cela doit être fait autrement !

Alors qu’il y a moult façons de bien faire… que les faiseurs de bien ont eux-mêmes leurs besoins psychologiques et qu’en définitive, comme le disent les Suisses allemands : “ jedem Tirschen sein Plaisirschen ” – à chaque petit animal son petit plaisir.

À chaque être son mode de célébration et de solidarité.

Eh bien, non ! Rien n’y fait pour ces esprits saumâtres : ils estiment qu’eux-mêmes feraient mieux (on note l’emploi du conditionnel) que la victime de leurs sarcasmes – ce qui reste à prouver, car ces dénigreurs ne mettent pas beaucoup d’empressement à faire eux-mêmes quoi que ce soit.

Ou alors, l’origine essentielle de leurs dénigrements se révèle moins tordue et plus triviale : le goût de l’excitation le disputant chez eux à la paresse, ils optent pour le stimulus le plus primitif – celui de l’attaque et de la destruction.

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Véganisme réduit à sa portion végétalienne

septembre 14th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #64.

On a réussi une opération réactionnaire particulièrement habile en réduisant le véganisme au seul aspect nutritionnel, le végétalisme, c’est-à-dire une alimentation entièrement végétale. Cette amputation conceptuelle se révèle drastique car le mot “ végétalisme ” a disparu des mass media… même si son concept s’avère plus d’actualité que jamais.

L’opération fut très simple : réduit à la dimension alimentaire, le mot “ végan ” a pris la place de “ végétalien ”.

De cette façon, le véganisme ne se trouve plus perçu comme une éthique de vie d’abord, une éthique cherchant à infliger aussi peu de souffrance que possible aux êtres sensibles… mais tout simplement comme un régime alimentaire. Or, comme la plupart des régimes alimentaires se révèlent foncièrement basés sur une impulsion parfaitement égocentrique (être moins laid, en meilleure santé, plus performant, etc.), et pas altruiste… on voit par là combien le terme de véganisme a été profondément dévoyé.

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Rectitude morale et rigueur intellectuelle

septembre 10th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #51.

La rectitude morale et la rigueur intellectuelle sont étroitement liées. Ceux qui se complaisent à dire n’importe quoi, n’importe comment, qui gambergent ou qui agissent sans connaissances préalables et en dehors de toute raison, en général pratiquent une éthique se voulant de haut vol… et à géométrie très variable. Ceux-là pour qui l’éthique consiste à trouver bon (et obligatoirement bon) ce qui les arrange, eux, sur le moment, se révèlent les premiers à pratiquer la pensée magique, en déconnection de tout principe de réalité et sans aucun respect pour la vérité des choses.

On peut aussi relever que les gens de mauvaise tenue, se vautrant dans la laideur, n’ont jamais ni rectitude morale, ni rectitude intellectuelle. Alors que celui qui pratique, avec constance, ces deux vertus, s’avère souvent ami de la beauté.

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Le fonctionnement clanique

septembre 10th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #50.

Dans un clan, les règles de comportement sont strictes : on ne se fait pas de mal entre membres de celui-ci. À l’intérieur d’un clan soudé, on respecte entre soi la règle d’or antique : “ Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse et traite les autres comme tu voudrais qu’on te traite. 

En revanche, contre ceux-là qui sont extérieurs au clan, non seulement peut-on commettre tout le mal que l’on veut… mais on le doit [1].

Certaines sociétés ne sont jamais sorties du mode de fonctionnement clanique ; qu’elles s’imaginent hautement civilisées du fait de leur puissance n’y change rien. Les étrangers et les animaux s’y trouvent toujours destinés à être trompés voire violentés – en agissant de la sorte le forban donne, à son clan, à la fois des gages d’intelligence et de loyauté.

Corollaire : ceux qui pensent et fonctionnent en termes d’éthique, estimant que la règle d’or doit s’étendre aux autres que les proches… sont considérés dans les sociétés claniques comme stupides, ou traîtres.

[1] Cf. supra le texte no 10, « Morale militaire et morale individuelle ».

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Plaire au chef et au groupe

septembre 9th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #49.

Les actes de méchanceté ne sont généralement pas commis par des génies du mal, qui savent ce qu’ils font et qui le font dans leur intérêt bien compris… mais par des suiveurs. Soit qu’ils se soumettent au dit esprit de groupe, soit qu’ils cherchent à se gagner les faveurs du chef… ce dernier se révélant rarement un personnage bienveillant.

Alors, ils rivalisent d’hypocrisie et de veulerie ; s’il leur reste une conscience morale, c’est dans la lâcheté qu’ils participent aux méfaits, collaborant aux plus immondes sans trop de scrupules. Et qu’ils commettent allégrement des crimes contre l’intelligence et la bonne foi. Du moment que cela plaît au groupe ou à son meneur !

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Les clubs de moralisateurs enthousiastes

septembre 9th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #48.

Moralisateur n’est pas moraliste, pas plus que fans de sport ne sont sportifs. Les rassemblements de moralisateurs, qu’ils soient de type religieux ou politique, se ressemblent tous, foncièrement. Ils donnent la primauté à l’opinion conforme et à l’adhésion aveugle, au détriment de la détermination des faits et de l’intelligence de l’analyse. Rapidement, on y passe de l’enthousiasme à l’exaltation.

Ces clubs de narcissiques hautement satisfaits de soi, où l’on rivalise d’exaltation et de fanatisme, de vertu indignée et d’hypocrisie, dérivent très vite dans l’irrationalité hystérique – puis dans le plus fervent irrationalisme. Mode opératoire d’abord privilégié… obligatoire ensuite. Par là, fatalement, ces groupements sombrent dans la violence totalitaire.

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Le félin qui tue et les canidés qui massacrent

septembre 9th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #47.

Il vaut la peine de comparer, dans un film au ralenti, l’expression quasi impassible, la concentration sans frémissement d’un félidé dans sa phase finale de chasse – à la férocité, l’agitation de l’expression, chez les chiens et les loups.

La fascination qu’exerce, dans son action précise, l’altière et fière beauté du félin… réfrène tout frisson de réprobation chez le spectateur sensible à l’élégance. Alors qu’avec les seconds, on se retrouve dans un film d’horreur ! D’autant que le premier tue plutôt vite, d’une morsure efficace qui brise la nuque, ou par une prise suffocante, alors que le plus souvent, chez les grands canidés, c’est une curée épouvantable et une boucherie interminable.

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Le grand désert, refuge ultime des aborigènes

septembre 9th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #46.

En Australie, on entend souvent proférée cette assertion ridicule : que les aborigènes, n’est-ce pas curieux… aiment à vivre dans les déserts extrêmes – ils ne sont pas comme nous, voyez-vous !

De fait, il tombe sous le sens qu’ils n’aiment pas cela du tout ! Ils ont dû fuir les zones tempérées, investies de préférence par les colons britanniques… que les aborigènes trouvaient particulièrement déplaisants, voire dangereux à côtoyer.

S’ils ne s’exilaient pas dans les immensités désertiques, ultime refuge, ils se trouvaient pourchassés jusqu’au dernier par leurs implacables ennemis et systématiquement exterminés des zones tempérées.

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L’opinion d’un seul contre la foule

septembre 8th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #45.

L’opinion d’un seul, solitaire par goût, lorsqu’il s’avère studieux, honnête et raisonnablement intelligent – vaut plus que celle de tous les autres… s’ils ne présentent pas en chacun d’eux-mêmes ces trois qualités jointes.

Car une foule se constitue dans une pulsion aux antipodes de celles-ci… et impose sa direction à chaque individu qu’elle capte. Il suffit de quelques-uns exhibant la mentalité type d’une foule pour que tous ceux-là rassemblés autour d’eux emboîtent le pas… s’ils ne résistent pas activement.

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L’enfer est pavé de bonnes intentions

septembre 8th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #43.

L’enfer est pavé de bonnes intentions. Des intentions non réalisées… mais aussi, toutes celles qui ont mal tourné – ou trop bien tourné.

Cela étant, quel paradis peut-il être imaginé, construit et maintenu… sans bonnes intentions préalables ? Il faut simplement rester très prudent, se souvenir qu’enfer et paradis se révèlent géographiquement voisins… et ne pas se contenter de bonnes intentions. Il faut suivre de près, de très près, leur mise en œuvre… et s’assurer que les intentions d’origine demeurent intactes.

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La souffrance des autres

septembre 7th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #42.

Il y a ceux qui ne se satisfont pas d’un monde où vive dans la souffrance même un seul être. Il y a ceux qui ne se satisfont pas de ce qu’un seul membre de leur espèce, ou d’une espèce qu’ils aiment plus particulièrement, ait à vivre dans la souffrance. Puis ceux qui limitent leur souci à un peuple, le leur, éventuellement aux peuples qu’ils apprécient. Ceux qui ne se satisfont pas de ce qu’un membre de leur société ait à subir injustice ou souffrance. Ceux qui ne s’en soucient que pour leurs proches…

Enfin, ceux que la souffrance n’interpelle que lorsqu’il s’agit… d’eux-mêmes.

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Connaître et comprendre, pour faire le bien

septembre 7th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #41.

Celui qui est bon doit apprendre à agir avec bonté. Ce n’est pas simple. En effet, pour faire le bien, il faut comprendre ; pour comprendre, il faut connaître. Ainsi la bonté ne devient-elle opérante que jointe à la connaissance, en un couple de forces puissant. Cela exige un grand effort. La paresse ne peut donc pas être une alliée fiable de la bonté…

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Les sociétés humaines se montrent plus féroces à l’égard des gentils que des méchants

septembre 7th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #40.

Les sociétés humaines se montrent plus féroces à l’égard des gentils que des méchants, car les premiers menacent plus sérieusement leurs habitudes.

Plus que tout, on craint l’effet : “ Dans le fond, il a raison… ” – et c’est le danger qu’il faut contrer vigoureusement ! Faute de quoi, la raison pourrait s’associer à la bonté, formant un couple de forces par trop efficace contre l’ordre établi et ses usages.

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Extermination purificatrice des parasites et de leurs hôtes

septembre 7th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #39.

 Il faut exterminer les félidés, afin d’extirper le parasite protozoaire Toxoplasma gondii et la toxoplasmose ! 

Certes… Tant qu’à faire : exterminer l’être humain, afin d’extirper les vers plats parasites, Taenia saginata et Taenia solium, dits vers “ solitaires ”, qui infectent de nombreuses espèces animales mais qui dans leur cycle de reproduction ne peuvent se passer du genre Homo. Bonus : on se retrouverait ainsi à extirper la guerre et la pollution, aussi…

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Odieux à l’égard des plus vulnérables

septembre 7th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #38.

La véritable nature des gens se dévoile dans leur comportement à l’égard de ceux qui ne peuvent se défendre contre leurs dires ou leurs agissements, ou en témoigner.

On remarque le même profil psychologique, odieux, chez tous ceux qui se complaisent à s’acharner sur les plus vulnérables et les plus dénués de parole : femmes, enfants, vieux, malades, employés, prisonniers, plantes, animaux ou… cadavres.

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Pas de morale sociale sans surveillance de tous par tous

septembre 6th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #37.

On observe, on constate : la bonté est une vertu exceptionnelle dans les sociétés humaines. La morale sociale se trouve plus répandue… mais elle est à géométrie très variable.

Par ailleurs, s’il n’est pas imposé, directement ou indirectement, sous la surveillance de tous par tous et sous la menace de sanctions en cas d’infraction, le sens moral devient vite presqu’aussi rare que la bonté.

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Sens unique obligatoire

septembre 6th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #35.

 La peur est source de toutes les haines ! ” – Hmm… C’est peut-être une simplification excessive ? puisque de son côté la haine engendre la peur…

Crispation de mon interlocuteur, adepte du sens unique et de la linéarité simple : “ Non, non, ce n’est pas comme ça ! Cela ne se fait que dans le sens que je viens d’énoncer ! 

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La bonté, un effort qui n’est soutenu par aucun dieu

septembre 6th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #34.

 Au fond… La Nature est bonne ! ”, entend-on souvent, ou bien “ L’Homme est bon ! ”, ou encore, dans le même registre, “ Dieu est bon ! ”…

Pourtant, devenus fous, les animaux ou les hommes se révèlent rarement aimables. Le plus souvent, ils deviennent, dans la folie, agressifs et méchants. Par conséquent, on voit mal en quoi le fond de quoi que ce soit pourrait être bon…

La bonté s’avère exceptionnelle dans le monde, et quand par miracle elle apparaît, elle demande un effort tenace, de la part de la nature ou des hommes, pour être maintenue. En vérité, cet effort, héroïque et sisyphien, n’est soutenu par aucun dieu.

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La maison du bonheur

septembre 6th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #33.

La maison du bonheur est celle où chacun a le cœur au bonheur de chacun, dans les petites choses comme dans les grandes. Chacun y bénéficie de la gentillesse et de l’attention de chacun ; cela fait naître, chez tous, le désir, constamment revivifié, de coopérer au bonheur ambiant. Certes, rien n’est simple dans l’existence… mais tout se déroule dans un esprit de solidarité et finit dans la joie partagée.

Dans la maison entière, rires, sourires, légèreté, grâce et sérieux renouvellent le sentiment d’éveil ensoleillé de chacun, pour tous. C’est La Maison de Caroline, avec ses petits amis, celle d’un grand album illustré de 1956 [1], celle de mes rêves d’enfant.

[1] Par Pierre Probst.

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Un alexandrin pour Chatoune

septembre 5th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #32.

Quand Chatoune, mignonnette toute grisette, m’accueille de ses grands yeux d’or et d’un petit roucoulement amical, alors, bien sûr, je lui dis noblement, à la Goscinny : “ Je suis, ma chère amie, très heureux de te voir.  [1]

Un alexandrin historique, digne de la jolie petite moricaude.

[1] Dans Astérix et Cléopâtre, un album de 1965 par Goscinny et Uderzo, à la planche 3 l’architecte alexandrin Numérobis s’adresse en ces termes au druide Panoramix : « Je suis mon cher ami, très heureux de te voir. »

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Les deux roulottes, tirées par un cheval blanc et un cheval noir

septembre 4th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #29.

Certains ouvrages ont une qualité onirique particulière, ils peuvent marquer une vie quand on les découvre tout jeune.

Le Club des Cinq et les saltimbanques, d’Enid Blyton (Nouvelle Bibliothèque rose, 1965), s’est révélé un de ceux-là. Il offrait un titre et une couverture sur lesquels je ne cessais de rêver, dans ma petite enfance soudanaise.

L’illustratrice Jeanne Hives avait dessiné un double mouvement d’ensemble, très élégant, reproduisant en ombres chinoises les quatre personnages humains. On remarquait d’abord un beau cheval blanc pommelé, à harnais noir, guidé par un enfant, tirant fièrement vers la gauche une jolie roulotte verte à bandeau rouge, dotée d’une petite cheminée, avec une fille heureuse à la fenêtre, le visage tourné dans la direction prise et faisant un gracieux mouvement des bras.

Au-dessous, un deuxième beau cheval, noir celui-là et à harnais jaune, également guidé par un enfant et tirant tout aussi fièrement, vers la droite cette fois, une autre jolie roulotte, rouge à bandeau vert, elle aussi nantie d’une petite cheminée, avec une deuxième fille heureuse à la fenêtre… ainsi que le chien Dagobert à une seconde, plus petite fenêtre !

Quel doux programme annoncé sur cette couverture inspirée. Amitiés entre humains et animaux, liberté, responsabilité. Le récit, avec ses animaux de cirque émouvants, était à la mesure des rêves ainsi provoqués. Par ailleurs, à la page 96, Jeanne Hives avait créé une merveilleuse illustration couleur pour le texte, si onirique : « Les cinq enfants prirent d’abord des chemins de traverse. » Dans un charmant décor de montagne, représenté avec une légèreté de touche artistique qui faisait rêver d’envol, les enfants escaladaient une pente et ses rochers, découvrant avec émerveillement une plante alpestre bourgeonnante à grandes fleurs roses échancrées, aux longues feuilles dressées.

Cette illustration avait fait naître en moi la conviction que le paradis m’attendait à Chamonix, où nous fuyions chaque année, en été, la chaleur étouffante de Khartoum. Par la suite, en 1970, alors que nous nous étions retrouvés exilés pendant plusieurs mois dans ce qui, à l’époque, était une très belle station alpine, j’avais cru que je l’avais enfin trouvé, mon paradis…

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La dite irrationalité des acteurs économiques

septembre 3rd, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #27.

On peut beaucoup apprendre sur les réalités de l’esprit humain en réfléchissant sur des expériences de psychologie. En voici une, assez simple, qui s’avère particulièrement instructive.

On met en présence deux joueurs : bien qu’interagissant selon des règles bien définies, les rendant dépendants l’un de l’autre, ils n’échangent pas à proprement parler. Au hasard d’une roulette, l’un d’eux reçoit une somme d’argent, dont le partenaire est informé du montant. La règle prévoit que le bénéficiaire partage la manne, en principe moitié-moitié, avec son vis-à-vis – mais cette règle n’est pas obligatoire, son application est soumise, pour cette occasion, à un accord ad hoc entre les deux joueurs. S’ils ne s’entendent pas sur cette distribution, aucun d’eux n’est récompensé… et le jeu s’arrête là. Dans le cas contraire, la roulette continue de tourner, selon la même règle générale, pour chaque nouvelle distribution, de partage équitable par le gagnant du moment.

Parfois, un joueur ayant gagné le gros lot décide de conserver pour lui plus que la moitié de la somme gagnée, espérant que son partenaire de jeu voudra bien accepter une plus petite partie que prévue d’une grosse somme d’argent… plutôt que rien du tout. Une telle acceptation dénoterait, de la part de ce dernier, une attitude rationnelle, la proposition de partage inéquitable de son partenaire étant elle aussi considérée comme rationnelle… à ce stade.

Eh bien, non. La majorité des gens préfèrent ne rien recevoir du tout plutôt que de permettre au mauvais partenaire d’empocher plus qu’il n’était prévu initialement. Et quelques uns des gagnants du gros lot préfèrent ne rien empocher du tout plutôt que de partager équitablement, comme prévu pourtant !

Analysons la situation sur le plan psychologique. Que le partenaire avide persiste dans sa démarche et, plutôt que de partager comme prévu, préfère en définitive tout perdre, s’avère manifestement déraisonnable et irrationnel. Il y a là comme un relent de : cette grosse proie nous l’avons certes chassée ensemble, mais c’est moi qui l’ai tuée donc je mange plus de la moitié ! La dispute persistant jusqu’à ce que les hyènes se pointent en nombre et confisquent le tout.

Pour ce qui concerne le partenaire fâché, parce que s’estimant floué, c’est plus subtil… Les humains le plus souvent ne se comportent pas en froids calculateurs. Ils partagent cette dite “ irrationalité ” avec, entre autres animaux, les petits singes capucins (du genre Cebus). Ces derniers, quoique très aimables, se mettent en colère lorsqu’ils se sentent lésés – les humains aussi ! L’estimation rationnelle du gain, censément régie par des règles de calcul d’espérance, se trouve ainsi en concurrence psychologique avec un autre sentiment parfaitement raisonnable et rationnel : refuser d’être le dindon de la farce. Apprécier à l’aune de la raison le comportement de refus en question se révèle donc une tâche délicate.

Cela n’empêche pas nombre de psychologues et d’économistes de la tradition anglo-saxonne, dans ce cas également, de trancher ; on cite : “ encore un signe d’irrationalité de comportement ”…

Comme on vient de le voir, c’est un peu court.

Une telle expérience de psychologie se révèle l’occasion de prendre du recul et de faire un tour du côté des théories économiques. Les économistes se qualifiant de “ libéraux ” ont toujours jeté l’opprobre sur les acteurs économiques “ insuffisamment rationnels ”… le deuxième acteur du jeu en question, “ le fâché ”, se trouvant plus particulièrement dénoncé par eux – le premier, l’avide, bénéficiant généralement de leur bénédiction idéologique. Ce qui rencontrait leur dédain moral, ils le dédaignaient intellectuellement aussi : leurs modélisations faisaient l’impasse sur l’existence de “ l’irrationalité ”, telle qu’eux-mêmes la définissaient pourtant. L’irrationalité en question ne s’en montrait pas pour autant moins prévalente dans les comportements humains. Résultat : on ne pouvait absolument pas compter sur le dit “ modèle économique du comportement rationnel ” autrement que pour des travaux strictement académiques… qui permettaient, chaque année depuis 1969, l’attribution d’un “ prix Nobel ” d’économie.

Les acteurs économiques dominants ne sont toutefois pas complètement idiots… Ils ont compris qu’il leur fallait s’arranger pour continuer de tricher… sans que les nouveaux pigeons ne remarquent leur avidité et ne s’en offusquent. Que les capucins n’y comprennent plus assez pour se rebiffer. Alors, depuis quelques décennies, ils ont encouragé et financé l’élaboration d’un “ nouveau ” modèle économique, post-libéral, post-moderne… toujours nobélisable. Avec une terminologie digne de juristes et des complications ad hoc engendrant une confusion commode… il consiste principalement à travestir la réalité. L’ancien modèle se contentait de ne pas y correspondre.

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Jeux à somme nulle

septembre 3rd, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #26.

Nombre de personnes, ainsi que de sociétés humaines, ne comprennent et ne pratiquent que les jeux à somme nulle, ceux où tout gain d’une partie se fait forcément au détriment de l’autre partie.

Il faut reconnaître rapidement ces gens et ces peuples pour ce qu’ils sont, puis les éviter soigneusement, si l’on ne partage pas, soi-même, le goût belliqueux de la confrontation.

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La robe rouge coquelicot

septembre 2nd, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #23.

Certains livres de mon enfance sont restés profondément enfouis dans ma mémoire de petit Soudanais… Un enfant ami des livres mais n’en ayant que trop peu à sa disposition, lisant et relisant sans cesse les mêmes, qu’il chérissait. Ou simplement, restant longuement à contempler leurs couvertures… retardant le moment où il les ouvrirait, lentement. Comme on soulève, doucement, le couvercle, superbement ouvragé, d’un coffre à trésor.

Dans une édition 1969 de la Nouvelle Bibliothèque rose, avec une couverture de cet illustrateur singulier qu’était Paul Durand [1925-1977], Le Club des Cinq va camper [1] était un de mes précieux coffrets. Chaque fois que je posais mon regard sur lui, le livre me paraissait annonciateur de paradis programmé. Le titre et, surtout, la couverture, me faisaient gentiment rêver de nature, ainsi que de vie familiale douce et harmonieuse.

Dans un contraste enchanteur de rouge et de jaune, on y voyait Annie, la plus jeune du groupe et la seule qui sût cuisiner. Ses deux frères aînés, l’un d’eux contribuant à la tâche domestique par le lourd seau d’eau qu’il apportait, ainsi que sa cousine, la regardaient avec expectative ; l’artiste avait très bien su exprimer l’admiration en coin des deux frères. Le bon chien Dagobert, gage de sécurité, était discrètement représenté. C’était charmant. J’aimais le sérieux et la concentration s’exprimant sur le visage délicat d’Annie, sa grâce toute féminine… et sa robe rouge coquelicot sans manches, aux grandes poches et à la ceinture nouée dans le dos en nœud papillon !

En Suisse, ma mère avait fait l’acquisition d’une robe presque semblable à celle d’Annie et j’affectionnais la voir la portant. Elle l’offrit plus tard à mon épouse qui, à son tour, la mit souvent, car elle m’enchantait cette jolie robe rouge, si simple et si fraîche. À la fin, elle n’était plus portée que pour nos promenades sur notre terrain à Kangaroo Island, car, malgré son incroyable qualité de fabrication, elle était devenue un peu élimée…

Cette robe coquelicot apparaît parfois dans mon esprit, le soir, alors que je m’endors, faisant naître de douces évocations, apaisantes. Elle me permet de sourire en versant dans le sommeil…

[1] D’Enid Blyton, trad. 1957. Cf. « L’étrange histoire d’une traduction bancale et de ses conséquences sur une vie », texte no 93 de Pensées pour une saison – Hiver.

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L’œil droit et l’œil gauche

septembre 1st, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #21.

Le destin des êtres sensibles et lucides est de marcher les deux yeux grand ouverts, l’un percevant la méchanceté, la bêtise et la laideur, l’autre discernant la bonté, l’intelligence et la beauté.

Cela peut donner le tournis et il ne s’avère pas facile, ce faisant, de garder son équilibre – mais ainsi se trouve-t-on en mesure de survivre… pour connaître quelques moments de félicité.

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La mission et le pouvoir

août 31st, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #18.

La mission se prend facilement pour un pouvoir – or le pouvoir corrompt ou rend fou, et ainsi se corrompt le message à transmettre, l’œuvre à accomplir. La première obligation du bon missionnaire : la vigilance, de tout moment, à l’égard de son propre goût du pouvoir.

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