Dérive antipodale des mots : machiavélique

octobre 8th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #110.

Troisième cas. Au début du XVIe siècle, dans un monde très agité où régnait la contingence, les puissants de la Renaissance italienne s’affrontaient sans cesse, tous contre tous.

S’adressant en 1513, dans son œuvre magistrale, Le Prince, à l’un de ceux-ci, Laurent II de Médicis, Machiavel [1469-1527] prônait l’intelligence et la tempérance dans les pratiques politiques. L’auteur jugeait que l’on ne conservait pas le pouvoir par la brutalité ou par la tromperie… mais par la prévoyance, la souplesse et l’habileté, jointes à la vaillance et à la droiture. Il estimait hautement la virtù… mais ne nourrissait aucune illusion sur les vertus des hommes. C’était donc un observateur lucide et pragmatique du monde, prodiguant des conseils avisés et réfléchis, probes en définitive.

Nonobstant, aussi bien les catholiques que les protestants se trouvèrent indignés par cette description réaliste du pouvoir, publiée en 1532, cinq ans après la mort de l’auteur ; à leur goût elle se révélait insuffisamment édifiante : elle n’était pas moralisatrice, donc elle ne pouvait pas s’avérer morale. Ils répandirent dès lors tant de médisances sur l’auteur (qui ne pouvait plus se défendre) qu’ils donnèrent de Machiavel l’image d’un individu dépourvu de scrupules ou d’idéal, encore pire que… “ cynique  [1]. Ils lui attribuèrent ainsi avec malignité l’adage : “ La fin justifie les moyens ”, un apocryphe peut-être dérivé du “ Exitus acta probat ” formulé par le poète latin Ovide [2].

Résultat de ces distorsions : le machiavélisme devint, erronément, synonyme de calcul fourbe, sournois et sophistiqué, immoral ou amoral. Alors qu’en réalité, un projet “ machiavélique ” ne correspond en rien à l’esprit machiavélien, c’est-à-dire aux intentions réelles de Machiavel.

[1] Cf. supra le texte no 108, « Dérive antipodale des mots : cynique ».

[2] Ovide [43 AEC – 18 EC], Heroides, II ; un vers à la traduction délicate, qui pourrait, d’ailleurs, simplement signifier “ Le résultat en vaut la peine ”.

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Le poids de la mémoire, la concentration mentale et le glissement de la perception du temps

octobre 6th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #107.

Petit enfant au Soudan, j’étais conscient de la faiblesse de mon esprit et de mes connaissances. Pour me former, pour grandir, je m’exerçais, déjà, à des exercices mentaux de toutes sortes.

Examiner attentivement les mots dans le Petit Larousse illustré que nous avions dans notre maison de Khartoum, surtout les planches graphiques, qui me fascinaient par leur diversité de thèmes. M’exercer à les mémoriser. Réviser les livres scolaires envoyés par cette extraordinaire institution qu’était le CNTE (nom, à l’époque, du Centre national d’enseignement à distance). Me concentrer sur un arbre, sur un personnage, sur un paysage, que je m’efforçais de garder à l’esprit dans leur apparence, parfois que je tentais de dessiner ou de peindre, selon les instructions de cette autre admirable institution française, l’école de dessin (par correspondance !) A.B.C. de Paris. Comme je me sentais ignorant, petit, faible et maladroit ! Et combien l’étais-je. Je m’appliquais néanmoins, patiemment, obstinément.

À l’époque, lorsque je tentais de penser consciemment à telle ou telle chose, il n’y avait pas trop de stimuli mentaux pour me gêner dans mon effort d’attention… juste une grande maladresse cognitive et intellectuelle de ma part. Dont j’avais honte.

Parfois, je me retrouvais à devoir passer du temps dans des situations où il me semblait qu’il n’y avait rien à apprendre… par exemple lors d’une fête de birthday d’un des enfants des communautés anglaise ou américaine de la capitale soudanaise. À chacune de ces invitations, j’étais catastrophé d’avance. Ensuite, c’étaient des heures de purgatoire… au cours desquelles les heures s’écoulaient avec une lenteur accablante. Je regardais mille fois l’aiguille des secondes, je comptais… 60. Une minute seulement s’était écoulée ! Le temps me semblait un liquide épais et poisseux, dont je ne pouvais pas me désengluer.

Alors je me réfugiais, même au cours des jeux à participation obligatoire, dans mes exercices mentaux… forcément, les enfants et adultes autour de moi me jugeaient “ dumb ” – stupide. On pourrait croire que cela m’affectait, mais non, venant de la part de ces gens, je n’en avais cure.

À l’âge de 12 ans, alors que ma famille s’était définitivement fixée à Genève, je me retrouvais, pour mes six dernières années de scolarité, emprisonné dans une école. À temps partiel (car à la différence d’autres malheureux je n’étais pas “ un interne ”), mais quand même pour la plus grande partie de mon temps vécu à l’état d’éveil. Six années interminables. Les deux premières, je les passai uniquement à survivre, mentalement et physiquement, dans un environnement humain qui m’était hostile, parfois violemment.

Les deux années suivantes, j’appris à développer une attention triptyque : une partie sur le cours, une partie sur les autres élèves, une partie pour mes pensées propres. Je remarquai alors un phénomène frappant : le temps en classe s’écoulait un peu moins lentement que lors de ma petite enfance. Je mettais cela sur le compte de la capacité que j’avais développée pour une attention plus que duale. Je n’avais pas tort, mais cela ne s’avérait pas toute l’affaire…

Jeune adulte et étudiant universitaire, enfin plus libre de mon temps, je constatai, clairement et indubitablement, que le temps s’écoulait un peu moins lentement que dans ma petite enfance.

Toutefois… Je n’étais plus convaincu, alors, que ce fût un avantage…

Par ailleurs, en parallèle, je relevais, navré, que l’effort d’attention intellectuelle que je devais prodiguer à mes études ne diminuait pas avec les années, malgré mon expérience croissante. Je ne comprenais pas pourquoi, à l’époque.

Avec le recul, je réalise que, jeune adulte, je me retrouvais avec un legs croissant de souvenirs, conscients ou non, et une mémoire qui s’alourdissait rapidement. Petit à petit, cette mémoire grandissante s’avérait envahissante au point d’en devenir handicapante, intellectuellement mais aussi psychiquement. J’avais de plus en plus de peine à me concentrer sans que l’un ou l’autre souvenir m’interpelle, de façon urgente et pressante – parfois ce n’était qu’une réminiscence… qui se révélait, à cause de son flou, encore plus envahissante qu’un souvenir !

En outre, à mesure que la mémoire, consciente ou inconsciente, se stratifiait… le temps s’écoulait de plus en plus vite. À partir de l’âge de trente-six ans, c’était net : il commençait à me filer entre les doigts.

J’optais alors pour une hypothèse, une loi de quasi proportionnalité entre le poids mnésique et la perception de l’écoulement du temps : chez un adulte de trente-six ans, le temps s’écoulerait environ six fois plus vite que chez un enfant de six ans. Aussi ces périodes de vide mental, où le temps semble se dérouler trop lentement, s’avèrent-elles de moins en moins fréquentes avec l’âge. L’ennui épais, perçu comme un écoulement temporel visqueux, est un sentiment fréquent chez l’enfant, alors qu’il s’avère pratiquement absent chez le vieillard… pour qui le temps semble plutôt fuir devant lui comme un vent léger mais constant.

Ces deux réalités psychologiques me semblaient inexorables et inéluctables dans leur déroulement.

Par un concours de circonstances, je me mis en devoir de découvrir, puis de pratiquer les vertus de la méditation bouddhiste. Il importait non seulement de calmer l’esprit, mais de rendre la mémoire moins envahissante, plus sélective. Pendant quelques années d’apprentissage laborieux, je m’employais ainsi à calmer un esprit plus sagace, certes, que dans son enfance, mais devenu suractif, par trop à gauche et à droite, et par trop chargé en mémoires et souvenirs. C’est le cetta vivace voire agité qui, comme l’enseignent les bouddhistes, gêne l’attention (sati), freine la concentration (samâdhi) et empêche l’état d’éveil (bodhi).

Péniblement, je finis par atteindre mon objectif général de méditation. Même si, le temps passant, les souvenirs continuaient à croître en nombre… j’avais du moins freiné leur croissance affolante en poids psychique.

Depuis, le temps continue de s’écouler très rapidement, mais l’accélération de son écoulement a diminué au point de cesser. Ainsi, ce phénomène propre à l’âge ne s’avère-t-il plus angoissant, mais accepté, presque tranquillement. Parallèlement à un acquiescement graduel à l’ordre des choses, si ma capacité d’attention pure continue gentiment de décliner… et si l’état d’éveil bouddhique s’éloigne à mesure que je crois m’en approcher – ma capacité de concentration mentale poursuit-elle lentement son progrès.

En particulier, ma capacité de lire ou d’entendre correctement tous les mots d’une phrase, puis de m’en souvenir dans leur agencement exact à la première lecture ou écoute, décline depuis l’âge de vingt-cinq ans ; en revanche, ma capacité à me concentrer sur l’ensemble de ces mots et sur leur contexte, à les agencer mentalement et à les garder à l’esprit rassemblés entre eux, sans me laisser distraire, continue de s’améliorer.

Il y a un peu plus de deux décennies, je ne rêvais même pas d’une telle évolution.

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Le bonheur et la sérénité, ou bien l’excitation et le plaisir ?

octobre 3rd, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #105.

Le bonheur et la sérénité, ou bien l’excitation et le plaisir ? Les deux ne vont pas bien ensemble, selon l’adage que l’on ne peut ménager à la fois la chèvre et le chou. C’est à l’aune de cette distinction essentielle que peut se définir, très concrètement, le bien, ainsi que sa mesure et son choix.

Les philosophes et les moralistes depuis longtemps se sont penchés sur le sujet. Suite à de nombreuses recherches scientifiques, on découvre qu’en définitive ce vieux problème existentiel et éthique se révèle enraciné dans la biochimie. En particulier, dans la fine régulation physiologique de trois neuro-transmetteurs différents, adrénaline, dopamine et sérotonine : chez un individu donné, ses circuits sérotoninergiques ont-ils, en général, priorité sur ses circuits dopaminergiques et adrénergiques ?

Si oui, alors il a une chance de pouvoir vivre le bonheur dans le bien ; pour autant qu’il apprenne aussi, bien entendu, à reconnaître les choses pour ce qu’elles sont réellement. Car pas de bien possible sans connaissance et raison préalables.

Par contre, si l’on préfère évoluer dans l’excitation et le plaisir, la connaissance et la raison ne s’avèrent pas indispensables.

Or connaissance et raison réclament des efforts. Pas étonnant, dans ces conditions, que la plupart choisissent la voie la plus facile et la plus immédiate : celle de la dopamine et de l’adrénaline.

Ce n’est pas entièrement simple, toutefois… Car la persévérance apparaît surtout gérée… par la dopamine – et la vigueur au combat… par l’adrénaline ! On ne peut donc pas adhérer exclusivement à un “ bon ” circuit de neuro-transmission [1] (le sérotoninergique), au détriment des deux autres (l’adrénergique et le dopaminergique)… pas plus qu’on ne doit succomber aux attraits des deux derniers, ainsi qu’aux tentations modernes qui les stimulent par trop dangereusement.

Il convient de prendre du recul… et de réaliser qu’il a fallu des centaines de millions d’années de bricolage évolutif [2], accumulant redondances et contradictions dans la complexité physiologique, pour aboutir au résultat biologique actuel. Il ne faut donc pas bousculer, à l’aveugle de surcroît, cet équilibre délicat.

[1] Cf. les textes nos 12, 95, 96 et 97 de Pensées pour une saison – Hiver : « Le bâillement de réveil – un cas d’évolution surprise », « Systèmes nerveux dans un organisme, développements parallèles », « Choc vagal, avantage évolutif inattendu », enfin « Le combat à mort du chat et celui des défenseurs français de Verdun ».

[2] Cf. les textes no 20 (« Ailes et plumes des origines ») et no 95 op. cit., et cf. supra le texte no 104, « Le réveil de formes trop anciennes ».

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Le réveil de formes trop anciennes

octobre 3rd, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #104.

Le développement d’un embryon, en ses phases successives, répète d’une façon assez générale les origines et l’évolution de la lignée de son espèce : l’ontogenèse récapitule la phylogenèse (du grec ôn, ontos, ‘ l’être, ou un être ’, phylon, ‘ race, tribu, (vieille) famille, lignée ’, et genos, ‘ naissance, origine, genèse ’).

Théophraste d’Erèse [371-287], successeur d’Aristote à la tête du Lycée d’Athènes et père de la botanique, l’avait pressenti en estimant que les sépales et les pétales des fleurs se développent à partir d’un modèle biologique pour une feuille. Vingt-et-un siècles plus tard, au cours de son voyage en Italie (1786-88), le génial Goethe [1749-1832] écrira son Essai d’explication de la métamorphose des plantes, dans lequel il systématisait le postulat de l’homologie sériée de structure entre les différents organes végétatifs et floraux des plantes à fleurs, à partir de structures plus primitives. Par la suite, les découvertes paléontologiques et la génétique moderne démontreront que la feuille est apparue au cours de l’évolution avant la fleur… et que le modèle ontogénique et structural de l’embryon d’une fleur est bien celui d’une feuille.

Au XIXe siècle, suite à la révolution darwinienne, ce concept fécond sera étendu à la zoologie, en particulier par Ernst Haeckel [1834-1919] : un embryon d’amphibien, dans une première phase, ressemble à un embryon de poisson ; un embryon humain, dans sa première phase, ressemble à un embryon de poisson, dans sa deuxième phase à un embryon d’amphibien. Depuis, les découvertes paléontologiques ont confirmé, dans l’ascendance de tous les vertébrés amniotes (reptiles, oiseaux et mammifères), l’existence d’ancêtres amphibiens, et avant cela, d’espèces de poissons primitifs.

Par naïveté ou par malice, on a fait dire à cette règle, dite de récapitulation, quelque chose de plutôt absurde : qu’elle récapitulerait les formes ancestrales… adultes. Il n’en est rien, bien entendu. Plus fondamentalement, comme la récapitulation se fait de façon souvent désordonnée, parfois même chaotique, d’aucuns ont estimé que cette règle… n’était pas réellement une règle biologique. C’est là une erreur essentielle, due au refus d’admettre que les mécanismes de la vie trouvent leur origine dans un long bricolage aveugle.

Pourtant, la récapitulation de la phylogenèse fournit justement, par son caractère chaotique, en ontologie comme en embryologie, une preuve supplémentaire que la vie est un grand bricolage automatisé [1]… affiné par des centaines de millions, voire des milliards d’années d’évolution.

Un grand bricolage, pas nécessairement le plus efficace ou le plus élégant, mais ordonné par la sélection naturelle dans le torrent des siècles – au cours du long, du très long écoulement du temps… Les outils cassés et les matériaux devenus superflus peuvent encombrer le sol de l’usine biologique, ils n’empêchent pas la fabrication automatique de continuer, vaille que vaille.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que des gènes très anciens, même devenus caducs et complètement inutiles, restent souvent inscrits dans le génome. Parfois, ils se réveillent, anormalement, de leur longue dormance… et se révèlent alors tellement dégénérés dans leur encodage, qui a dérivé sans aucun contrôle de qualité biologique, qu’ils en sont devenus tératogènes – sources de potentielles monstruosités (par exemple, chez un humain adulte, la réactivation, impromptue, de pseudogènes pour des branchies).

Sigmund Freud [1856-1939] le devinera : le phénomène biologique décrit ci-dessus se trouve également à l’œuvre en psychologie sociale, pour les formes d’interprétation communautaire du monde. Les plus primitives de celles-ci ne sont pas complètement remplacées par les nouvelles, en principe plus adéquates ou du moins plus efficaces.

Elles refont alors surface dans le corps social, continuellement, le plus souvent sous des formes gaspilleuses de ressources collectives mais peu agressives (magie blanche, astrologie, homéopathie, etc.). Parfois, par contre, le réveil est paroxysmique, extrêmement violent (le nazisme) et, forcément, aberrant, car il est fait appel à de très anciens concepts mythiques, périmés depuis la nuit des temps déjà… Et dont la réactivation, intempestive et impérieuse, ne peut se produire que sous une forme particulièrement monstrueuse.

[1] Cf. les textes nos 20 et 95 de Pensées pour une saison – Hiver : « Ailes et plumes des origines » et « Systèmes nerveux dans un organisme, développements parallèles », et cf. infra le texte no 105, « Le bonheur et la sérénité, ou bien l’excitation et le plaisir ? ».

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La frontière des choses et le canevas de la grammaire française

octobre 1st, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #103.

Il est des jours qui marquent à vie. Certains se révèlent particulièrement difficiles à évoquer, et à cause de la profondeur de leur empreinte, difficiles à décrire. Ils se firent chaotiquement dans l’esprit, et dans une pauvre lumière.

J’en ai connu plusieurs ; au cours de l’un d’entre eux, je réalisai que je devais, impérativement, définir la frontière entre ce qui me constituait et ce qui se trouvait en dehors de moi. Et que j’avais beaucoup de peine à le faire, au point de douter qu’il y en eût une, de frontière ! Je sais que c’était bien avant mes sept ans. Soudain, ce qui m’avait semblé vaguement évident : moi… m’était devenu quasi étranger, même inquiétant.

Ce sentiment d’étrangeté à moi-même, je l’avais vivement ressenti, pour la première fois, penché sur la cuvette. Voyons, ceci vient de sortir de mon corps… c’était donc une partie de moi… mais plus maintenant ?! Et il faut à présent que je tire la chasse d’eau ?! Un doute affreux m’envahissait, mais que faire d’autre qu’obéir à mon surmoi et tirer sur le cordon !

Personne avec qui évoquer ce problème qui me hantait, qui m’épouvantait, en fait. Comment en parler avec ma propre mère, alors que j’avais réalisé, depuis quelque temps, l’affreuse vérité : les enfants sortaient de son ventre à un certain moment, quand ce dernier devenait très gros… et j’étais moi-même venu au monde de cette façon !

Je restais donc seul avec mes ruminations, me demandant à chaque fois avec angoisse si, en tirant la chasse, je ne tuerais pas un être en formation. Mais on ne peut quand même pas engendrer un enfant par jour ? Quoique… j’avais appris que certains tout petits animaux, primitifs et déplaisants, le faisaient ! Des amibes, des vers…

Ces pensées s’agitaient en désordre dans l’esprit du petit garçon que j’étais, tout à l’effroi de leur chaos et du gouffre mental qui se creusait en lui.

Une conséquence curieuse, mais à première vue seulement, de ce trouble terrible, c’est que je me mis à m’intéresser vivement à la conjugaison des verbes, ainsi qu’aux règles d’accord et de concordance – non seulement la personne et le temps, mais aussi le mode et la voix : je suis, tu seras, il eût été, vous seriez…

Ah ! la grammaire : par l’effort de structuration mentale et d’adéquation à la réalité qu’elle exigeait, elle m’a sauvé du délire solipsiste. D’autant qu’à l’époque la familiarisation strictement verbale que j’avais de deux autres langues, l’arabe et l’anglais, rajoutait à mon sentiment de flou du réel.

Aussi m’accrochais-je avec ténacité à cette langue dont je pratiquais l’écriture et que je pouvais étudier : le français. Cette langue, structurée pour l’intelligence et la raison, me permettait d’aborder les objets et les concepts en les trouvant confirmés dans leur existence par un dictionnaire (plus précisément, un Petit Larousse illustré, un livre saint, à mes yeux). Puis elle me permettait, avec ces mots nouveaux, d’engendrer des phrases nouvelles, de concevoir des pensées nouvelles. Ma mère, grande prêtresse du savoir, m’enseignait cette langue, qui m’apparaissait divine, par le biais du CNTE (nom, à l’époque, de cette extraordinaire institution française, le Centre national d’enseignement à distance).

Ô langue bénie !

Je pense être une des rares personnes à avoir précieusement sauvegardé, malgré les aléas de nombreux déménagements, les livres de grammaire de son enfance : le « petit Grevisse » (Précis de grammaire française – que j’ouvrais doucement, en me préparant mentalement, comme on s’y prend pour un livre sacré), et le Gaillard (L’Analyse logique et grammaticale – lors d’un court séjour en internat, vers mon douzième anniversaire, je prenais avec moi, pour les excursions hebdomadaires, ce mince, mais si dense, livre de poche)…

Dans ma bibliothèque, ces ouvrages vénérables, les deux dans une édition de 1969, sont faciles d’accès : je les compulse souvent. Leur étagère de rangement, celle contenant les dictionnaires de français, s’avère un autel de pratique quotidienne.

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Comment l’on devient ce que l’on est

septembre 30th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #101.

Génoï oïos éssi mathôn. – Sois ce que tu sais être. – Pindare [518-438], poète lyrique de la Grèce antique, 2e Pythique (468 AEC), v. 72

Il y a quatre décennies, tout jeune étudiant à Genève, j’étais assis sur un banc au parc des Bastions. Je lisais avec une concentration soutenue, par moments avec perplexité, le tout fraîchement publié Comment devient-on ce que l’on est ? (1978), l’auto-biographie de Louis Pauwels [1920-1997], “ spiritualiste prométhéen ” et chantre du “ réalisme fantastique ”. Son titre m’avait interpellé, comme on disait à l’époque.

Un autre étudiant m’apostropha alors, comment pouvait-on lire une telle “ débilité  ? Décontenancé, je lui demandai s’il avait lu le livre. Il me dit que non, car la réputation de l’auteur était mauvaise et puis rien que par le titre on savait qu’il s’agissait d’un livre idiot ! Je répondis que je ne pensais pas que ce fût le cas et j’allais ajouter que je ne voyais pas ce qu’il voulait dire à propos du titre, mais il me regarda avec dédain et s’éloigna aussitôt en ricanant. Je haussai mentalement les épaules et repris ma lecture… Les chiens aboient la caravane passe.

Néanmoins… je restais intrigué par cette différence de perception quant à l’intelligence du titre. Je m’arrêtais de temps en temps, méditais sous la frondaison des beaux platanes… et je n’arrivais pas à mettre le doigt sur un début d’entendement. Pourquoi ce… disons, camarade, trouvait-il aussi stupide une question que pour ma part j’estimais fondamentale ? Quelque chose m’échappait.

Au cours de ma lecture attentive, je notais la mention répétée d’un certain Nietzsche [1844-1900]. Pauwels avait d’ailleurs placé en exergue de son livre un extrait d’un ouvrage de celui-ci au titre curieux, Ecce homo, extrait qui lui avait fourni le titre même de sa propre auto-biographie. La question existentielle de ce Nietzsche, donc de Pauwels, me semblait très pertinente, mais je n’avais jamais entendu parler de cet auteur germanique durant les (hélas trop rares) cours de philosophie reçus à l’institut catholique que j’avais fréquenté – j’étais en filière Bac C, donc très axée sur la mathématique et la physique, mais quand même, c’est presque saugrenu quand on y pense… ça, c’était une éducation orientée !

Peu après, je remarquai à l’inégalable librairie Unilivres (sise Rue de-Candolle, juste en face de ce que l’on appelait “ Uni I ”) un ouvrage en allemand dont le titre et le nom de l’auteur captèrent aussitôt mon attention : Ecce homo, de Nietzsche (1888). Puis je remarquai le sous-titre : “ Wie man wird, was man ist ”.

Comment l’on devient ce que l’on est.

En un éclair, je compris.

Dans les décennies qui suivraient, j’allais découvrir avec ce penseur atypique et fécond un univers intellectuel foisonnant et stimulant. Le sous-titre de son auto-biographie Ecce homo reprenait une partie de l’incipit au chapitre II.9 de celle-ci. Je noterais au cours de mes lectures nietzschéennes que l’auteur avait en fait repris une de ses propres fulgurances, énoncée en 1881 déjà dans Die fröhliche Wissenschaft (Le Gai Savoir, #270) : “ Was sagt dein Gewissen ? Du sollst der werden, der du bist. 

Que dit ta conscience ? Tu dois devenir celui que tu es.

Langue allemande, langue française… Je saisissais enfin pourquoi le titre de Pauwels avait ainsi fait naître le mépris chez mon collègue. Nous ne comprenions pas la phrase de la même façon, tout simplement.

Bien que dans le sous-titre de Ecce homo les deux verbes fussent conjugués au temps présent, en allemand “ werden ” présente de façon générale une connotation de futur par rapport au verbe “ sein ” (“ être ”). C’est aussi le cas en français pour “ devenir ” par rapport à “ être ”… et c’est ainsi que je l’avais spontanément compris ; toutefois, dans cette dernière langue “ on devient ” peut, également, avoir une connotation, que l’on peut trouver plus triviale dans ce contexte, de passé… signifiant implicitement “ on est devenu ”.

On pouvait donc partir d’un malentendu a priori et mal interpréter le livre de Pauwels, une auto-biographie qui se révélait authentique dans le ton comme dans l’esprit… même si les idées trop souvent s’avéraient aussi nébuleuses qu’abruptes. À la lecture de sa prose robuste toutefois, il m’a semblé que, par son usage du temps présent pour le verbe “ devenir ”, cet auteur singulier ne voulait pas simplement signifier : comment est-il devenu ce qu’il est… mais bien, de façon plus nietzschéenne et plus dialectique : comment deviendra-t-on ce que l’on est – déjà.

Que dit ta voix intérieure ? Tu dois devenir ce que tu es.

Après Nietzsche, le poète anglais Robin Skelton [1925-1997], un néo-paganiste, saura reformuler avec une intensité renouvelée ce fondement immuable de toute existence : “ Each man must turn what is into what is, or he will die. 

Tout homme doit transformer ce qui est en ce qui est, sinon il meurt.

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La limite

septembre 29th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #100.

Comprendre s’est toujours avéré, pour moi, une pulsion vitale. Comprendre, avec autant de précision que possible. Autrement, l’affolement me guette. Alors… j’essaie de comprendre, péniblement, tout ce qui se trouve au monde, mais particulièrement ce qui m’est le plus proche. Exercice laborieux, difficile…

J’ai été sauvé par un respect instinctif de la réalité et une acceptation sereine de mes limites intellectuelles : si j’estime que je dois tenacement faire l’effort de comprendre, je sais aussi que je ne peux cheminer très loin dans l’immensité du monde. Je dois aller jusqu’à ma limite de propriété, regarder attentivement plus avant, au loin… mais sans franchir moi-même la borne. Car au-delà, ce n’est plus mon territoire et cela ne me regarde pas.

Du moins, je tâche de m’en convaincre.

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Les jeux de mon enfance

septembre 28th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #99.

C’est en lisant, étendu sur le dos dans un lit d’hôpital, Roger Caillois [1913-1973] et son fascinant opus, Les Jeux et les hommes (dans une édition de 1967), que j’ai réalisé n’avoir pratiqué, durant mon enfance et ma jeunesse, qu’un seul type de jeu, essentiellement… les autres me demeurant parfaitement étrangers.

Dans la citation suivante, le philosophe exprime son propos, par ailleurs très élaboré, en quelques mots seulement : « Les jeux, selon moi, se répartissent en jeux de compétition [l’agôn], quand on lutte sans autre intérêt que celui de démontrer une supériorité ; en jeux de simulacre [la mimicry], quand on joue à représenter quelqu’un d’autre ; en jeux de vertige [l’ilinx], quand on cherche à perdre conscience et équilibre ; en jeux de hasard [l’alea], enfin. » – Caillois, Roger, L’univers de l’animal et celui de l’homme, conférence aux XXe Rencontres internationales de Genève, 1965, thème : Le robot, la bête et l’homme.

Il manque une catégorie, celle du conteur qui ne se met pas en scène… mais ni le philosophe, ni l’auteur de ces lignes, ne sont portés à considérer une telle activité comme un jeu proprement dit.

Quoi qu’il en soit, mes propres activités, imaginaires ou réelles, toujours pratiquées avec un sérieux extrême, consistaient à réorganiser le monde dans sa vérité et sa réalité, pour cela à corriger les dénominations, comme le disait Confucius et comme l’énonça Marguerite Yourcenar dans son discours d’intronisation à l’Académie française. Mes jeux étaient solitaires, plutôt silencieux – allant des constructions de mécano à la simple rêverie, ils n’en étaient pas moins des jeux… de mimicry en l’occurrence, pour reprendre l’expression de Caillois.

Lorsque je m’impliquais moi-même dans mes mises en scène, je choisissais ou élaborais soigneusement les personnages que je vivais… et ils se révélaient immanquablement liés à une activité de création ou de construction. Je ne me retrouvais jamais Michel Vaillant dans mes rêves, le champion de courses automobiles, mais toujours son frère aîné, le constructeur, Jean-Pierre. Pour moi c’était là le jeu suprême et unique, celui du créateur, du constructeur du monde… ou du moins d’un monde.

Les autres catégories de jeux me laissaient de marbre. J’y participais le moins souvent possible, seulement sous la pression sociale et avec réticence, en conservant mon quant-à-moi. L’agôn ne m’intéressait que médiocrement, puisque le seul adversaire qui m’importait, c’était… moi-même.

Aussi, bien plus tard, je fus éberlué par la remarque, tellement inadéquate en ce qui me concernait, d’une physiothérapeute en Australie. Elle me voyait m’appliquer, avec beaucoup de concentration, dans les exercices qu’elle prescrivait : “ You are very competitive ! ” – Moi ?! Moi qui ai souvent, délibérément, mal joué à de nombreux jeux de compétition, afin de pouvoir, plus rapidement, me retrouver dans la solitude et… la réalité. Somme toute, elle était une sportive et pour elle toute forme de détermination morale procédait forcément d’un esprit de compétition. “ To a hammer, everything looks like a nail ” – pour un marteau, tout semble un clou.

Malgré leur diversité de thèmes, mes jeux d’enfance étaient donc assez limités en ce qui concerne les catégories de Caillois. Quoique… peut-être le jeu suivant participait-il de l’ilinx ? J’en doute, car je ne cherchais pas à perdre conscience, au contraire même. En voici toutefois la description succincte : je m’agrippais à une barre et m’élevais à la force des biceps, puis tentais de tenir ainsi, en me disant “ Ça y est, là je suis adulte ”. Puis mes biceps me lâchaient, et je tentais alors de rester accroché à la barre le plus longtemps possible, en pensant que là… j’étais vieux. Puis la mort approchant, mes doigts perdaient toute force résiduelle… et je devais lâcher prise.

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La motivation

septembre 28th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #98.

On ne peut pas vraiment motiver les gens. On peut leur prodiguer une première impulsion dans une certaine direction, ensuite l’encourager en les inspirant de façon régulière et fiable. Leur motivation leur est propre, très différente d’un individu à l’autre.

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La barrière entre pudiques et impudiques

septembre 26th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #96.

Les oiseaux et les mammifères pudiques vivent cachés, ou clairsemés dans des zones désertiques pauvres en ressources alimentaires ne convenant, ni sur le plan mental ni sur le plan pratique, aux impudiques qui, pour leur part, préfèrent vivre en nombre et dans la promiscuité.

Les animaux du désert développent une grâce physique et mentale toute particulière : chats du désert, renards fennec et polaires, gazelles gerenuk, antilopes oryx, gerbilles et bien d’autres espèces, sont remarquables dans leurs comportements, leur aspect général et leur gestuelle gracieuse. Chez les humains, l’exemple des Peuhls du Sahel rayonne avec majesté : ils sont beaux, ils sont dignes, ils savent se tenir.

Ce n’est pas sans raison que les animaux et les peuples pudiques aboutissent dans les déserts. En effet, la plus grande barrière psychologique, qu’elle soit sociétale ou entre espèces, se trouve érigée par le partage, ou non, du sens de la pudeur. Aucun partage de conviction, même la plus sacrée, ne peut abattre cette barrière de la pudeur. Aucun amour, même largement partagé, ne le peut.

Par contre, les personnes pudiques peuvent se côtoyer aisément, même sans partager aucune conviction particulière… et sans attirance particulière entre elles – du moment que les règles de la pudeur et de la discrétion sont respectées par les uns et les autres.

Les individus et les espèces pudiques se retrouvent ainsi fuyant les impudiques… qui n’ont que mépris pour eux. Car le sens de la pudeur est fortement associé au sens du ridicule, à la timidité et à la réserve dans les comportements.

Sentiments délicats que désapprouvent, vivement, les impudiques. Depuis quelques décennies, les timides et les pudiques se voient, en toute occasion, intimer l’ordre : “ Don’t be so self-conscious ! ” – ne sois pas si réservé/timide/embarrassé/gêné ! Sois comme nous, ou alors fais semblant ! Il faut frétiller du corps et de la queue, haleter bruyamment, renifler et lécher tout et tout le monde, se vautrer dans les saletés, aboyer sans cesse, constituer des groupes d’activité, courir après tout ce qui bouge… ou ne bouge pas assez !

Toutefois, si on peut lutter, un peu, contre la timidité… c’est à vie qu’on s’avère pudique. Un chat, même très robuste, ne peut pas vivre au milieu de chiens, sans devenir fou… et les chiens, sauf exceptions notables, exhibent une antipathie spontanée pour cette espèce réservée, qui leur est antipodale. De même, un humain pudique se sent mal au milieu de ses congénères impudiques qui, chez de nombreux peuples, forment la majorité sociale.

Ce sentiment se révèle réciproque : pour les impudiques, ce qui les gêne le plus chez quelqu’un, sans qu’ils ne puissent nécessairement mettre le doigt dessus… c’est sa pudeur. Un impudique non seulement ne peut pas comprendre les nécessités existentielles des pudiques, il ne le veut pas : car l’impudeur va de pair avec l’agressivité et la conquête du territoire de l’autre. Les timides et les pudiques forment alors des victimes toutes trouvées.

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Une espèce aux bébés particuliers

septembre 26th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #95.

On ne peut que faire le lien entre le goût, manifeste, de la plupart des êtres humains pour le bruit et la cacophonie… et le côté gueulard des bébés de l’espèce, un cas assez unique parmi les mammifères !

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Les étrangers, les nourrissons, les esclaves, les femmes… et les animaux

septembre 26th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #94.

Les discussions sur l’éthique se font rarement sur des fondements solides et généralement manquent de cohérence. Le plus souvent, elles vont dans un seul sens, défini d’office, obligatoire et incontournable. Ou alors, elles se révèlent vagues et informes, partant dans tous les sens. Les préjugés évidents ou la confusion des esprits n’empêchent nullement les locuteurs d’assener leurs convictions comme des évidences “ naturelles ” – surtout lorsqu’elles sont en rapport avec de “ grandes causes ”.

Pourtant, le flou et l’enthousiasme, en particulier lorsqu’ils sont combinés, forment un obstacle majeur à la raison, par là empêchent de clairement distinguer le bien du mal. Car le bien ne se détermine pas par la fougue d’une adhésion et ne se mesure pas à l’aune de celle-ci.

Pour clarifier socratiquement les idées à ce sujet, il est utile de reprendre la discussion à la base, en évoquant… les escargots que l’on écrase sur son chemin, délibérément ou par manque d’attention. Réactions immédiates : “ Oui mais là ça n’est pas important ! ”, “ Il ne faut pas exagérer ! 

On peut alors relever que, dans ces conditions, un acte ne semble pas considéré comme contraire à l’éthique par l’état d’esprit malsain qu’il a dévoilé chez le perpétrant (la brutalité, la méchanceté, la perversité, la cruauté…), mais plutôt en fonction de la catégorie de la victime. Or cet angle de vision ne concerne pas l’éthique mais est affaire de morale, à savoir ce qui se trouve acceptable selon les mœurs sociales d’usage.

En d’autres termes : tabou, pas tabou.

À titre d’illustration dialectique de ce dernier point, on rappellera que, sauf chez des philosophes à la sagesse notable, tel Théophraste d’Erèse [371-287] (le successeur d’Aristote à la tête du Lycée d’Athènes, en 322 AEC), les anciens Grecs eux-mêmes, en général, ne comprenaient pas que l’on puisse se préoccuper d’animaux, de femmes, d’esclaves, de nourrissons… et d’étrangers.

En entendant cela au début du XVIIIe siècle, celui des Lumières, l’auditeur commun s’exclamait : “ Quoi ?! Ils ne se préoccupaient pas du sort des étrangers ?! ” Au début du XIXe siècle, c’était : “ Quoi ?! Ils ne se préoccupaient pas des nourrissons et des étrangers ?! ” Au début du XXe siècle, c’était : “ Quoi ?! Ils ne se préoccupaient pas des esclaves, des nourrissons et des étrangers ?! ” En ce début de XXIe siècle, c’est : “ Quoi ?! Ils ne se préoccupaient pas des femmes, des esclaves, des nourrissons et des étrangers ?! C’est vrai ça ?! 

On remarquera, dans chacune de ces réactions d’indignation, que les animaux, encore et toujours, sont systématiquement passés à l’as… voire à la trappe.

L’air de rien, c’est une petite démonstration philosophique cruciale qui vient d’être faite… en préalable maïeutique à une éventuelle discussion, sérieuse, à propos d’éthique. Car elle permet de montrer du doigt comment cette dernière, dans les faits, est trop souvent considérée comme un autre mot pour la morale : ce qui est bon ou mauvais selon les mœurs en vigueur.

O tempora… Peut-on espérer du genre humain qu’un jour on aille au-delà de cette approche commode et paresseuse ? Et qu’enfin l’on traite les animaux comme des frères ?

Peut-être au XXIIe siècle ?

Quoique… il est peu probable qu’ils seront alors traités en frères. Plus vraisemblablement, ils seront dans l’ensemble moins maltraités simplement parce que dans le futur on en côtoiera encore moins qu’à présent. Les animaux seront toujours traités en objets, mais ils seront alors gratifiés d’une valeur de rareté. D’ici là… on aura constitué une nouvelle catégorie d’êtres sensibles voire intelligents, sur lesquels les mauvais instincts s’acharneront, dans la licence morale la plus totale : des robots.

On persistera à ne pas définir les actes contraires à l’éthique en fonction de l’état d’esprit malsain du perpétrateur, mais selon l’objet de l’acte : permis, pas permis.

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Instinct… alimenteur

septembre 25th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #93.

 Moi, je suis mon instinct alimentaire ! ” – Certes… sauf qu’en l’occurrence, il ne s’agit sans doute pas d’instinct, mais d’envies générées par des goûts acquis. Des envies qui peuvent parfaitement bien supplanter, voire étouffer tout instinct réel.

Par ailleurs, ces envies, apparemment si personnelles… de fait peuvent être induites par des bactéries commensales, des procaryotes se nourrissant des aliments que leur fournit leur hôte humain, vaste organisme eucaryote pluri-cellulaire – en particulier les aliments transitant par son système digestif.

La plupart de ces bactéries sont mutualistes, elles prennent mais elles donnent aussi. En leur absence, l’hôte mourrait d’inanition, car ses propres cellules eucaryotes sont incapables d’assimiler la plupart des aliments bruts qu’il ingère, ou encore parce qu’il a besoin de certaines capacités bactériennes de métabolisation et de sécrétion.

Toutefois, quelques bactéries entériques ne sont pas mutualistes du tout et elles se montrent même capables, selon des mécanismes subtils et compliqués, de dicter à leur hôte humain ses choix alimentaires, souvent à son détriment : par exemple, les bactéries qui réclament une surconsommation de graisse.

Des parasites protozoaires ou fongiques (très rarement bénéfiques…) peuvent également dicter un comportement alimentaire. C’est le cas par ailleurs des cellules devenues cancéreuses, affamées du glucose nécessaire à leur expansion effrénée… et capables d’induire une ingestion en quantités nocives de ce sucre.

L’eucaryote humain avisé doit donc surveiller de près ses envies et ses pulsions. Il lui faut parfois refonder ses goûts alimentaires, en une discipline de la pratique attentive et intelligente, basée sur des connaissances sérieuses. Car la bonne nutrition est une science fine et complexe nécessitant savoir et sagacité.

C’est de façon inattendue que l’on se trouvera récompensé de ses efforts persistants. Non seulement l’organisme hébergera-t-il dorénavant un entéro-microbiote dont la population en bactéries lui conviendra mieux, dans sa composition en souches et en espèces (car elles auront été progressivement sélectionnées dans le bon sens)… mais encore, à la longue, les besoins de celles-ci seront-ils reprogrammés, dans leur ADN comme en dehors de celui-ci – génétiquement et épigénétiquement.

Ainsi apprivoise-t-on sa flore intestinale.

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Les renégats de l’aventure multi-cellulaire

septembre 25th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #92.

Les premières communautés cellulaires ne purent se constituer avant que ne se fussent développées, chez certains organismes mono-cellulaires, d’une part, quand le milieu s’avérait déjà bien peuplé de congénères, une inhibition à la réplication clonale (i.e. entière et exacte)… d’autre part une prédisposition au suicide cellulaire, ou apoptose. Car qui dit communauté durable, dit contrôle de population – particulièrement au début et à la fin de chaque durée normale d’existence individuelle.

Ainsi apparurent des populations mono-cellulaires présentant un potentiel de discipline biologique se révélant digne d’une ébauche d’organisme complexe. Que, suite à cette émergence, des organismes multi-cellulaires (de multiples cellules de même type collaborant étroitement), voire pluri-cellulaires (différents types de cellules coopérant entre elles), apparussent et se développassent… c’était inéluctable, dans le torrent des siècles.

Toutefois, ces potentiels d’auto-contrôle de la division cellulaire et de la durée de vie cellulaire se trouvaient, forcément, gérés par l’ensemble primitif de façon stochastique ou probabiliste… Par là, il s’avérait fatal, dans toute proto-communauté cellulaire, que certains de ses membres ne respectassent pas ces principes vitaux d’auto-limitation de la prolifération, et d’harmonieuse apoptose. Mécanisme d’abord probabiliste, l’évolution ne pouvait que laisser passer entre ses mailles, au cours des éons, de tels comportements égoïstes ou anarchiques…

Laisser passer… dans une certaine mesure, c’est-à-dire tant que ces comportements ne s’imposaient pas complètement à l’ensemble et n’empêchaient pas, malgré leur fardeau, les organismes de se reproduire – de se perpétuer en tant qu’espèces et, éventuellement, d’évoluer.

Des milliards d’années plus tard, les principes cellulaires de reproduction contrôlée et d’auto-contrôle apoptique se révèlent toujours mal respectés… Quand une cellule eucaryote devient cancéreuse, elle ne présente plus aucune inhibition de comportement biochimique et elle semble retournée à l’état de bactérie dans sa captation exclusive de ressources alimentaires ainsi que dans sa reproduction frénétique. D’où les trésors d’inventivité et de ressources biologiques que les organismes complexes modernes doivent déployer contre les renégats tentés par le “ moi-moi-moi ! ” d’une échappée cancéreuse, et l’étendue du contrôle qu’ils doivent exercer sur l’ensemble des cellules.

Les organismes de certains animaux à la longévité exceptionnelle (par exemple les rats-taupes nus du genre Heterocephalus et les souris-taupes du genre Spalax, qui vivent beaucoup plus longtemps que les autres rongeurs) savent réprimer de façon efficace toute émergence de cancer, ainsi qu’empêcher les métastases. Cette remarquable efficacité dans le contrôle cellulaire a permis à certaines de ces lignées animales d’aboutir à des formes géantes : la baleine bleue, les éléphants, les requins du Groenland. Les organismes de ces espèces peuvent contenir mille fois plus de cellules eucaryotes qu’un corps humain… ils présentent néanmoins une fréquence moindre d’apparition d’un cancer dangereux pour l’individu ! Leurs cellules saines sont donc mille fois plus efficaces pour supprimer les cellules devenues cancéreuses que ne le sont celles des humains, des chats et des chiens domestiques.

En termes évolutionnels, cela se comprend très bien pour ces trois dernières espèces, car la durée de vie moyenne de leurs individus a augmenté de façon importante à une époque relativement récente – cela se mesure en siècles seulement. Ils vivent plus vieux… mais atteints de cancer. Ces espèces n’ont pas disposé d’une durée évolutive suffisante pour développer des mécanismes anti-cancéreux efficaces.

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C’est le comportement général qui fait le bien le plus fiable

septembre 24th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #91.

À défaut de pouvoir connaître tous ses actes… c’est à son attitude générale qu’on se trouve en mesure de reconnaître un homme fiable. On précise bien : non pas à ses intentions spécifiques et déclarées.

Confieriez-vous plus volontiers votre chat à quelqu’un de bon, d’entièrement bon, ne faisant de mal à nul être parce que tel s’avère son comportement général dans la vie… ou bien à quelqu’un proclamant son amour des chats mais, ne serait-ce que verbalement ou dans ses attitudes corporelles, se révélant souvent hostile à l’égard d’autres êtres ?

Maître Mô, un sage chinois du Ve siècle AEC, se méfiait des passionnés du bien sélectif… car l’homme, le plus souvent, se révèle une bête dont la morale est à géométrie par trop variable. On sait mieux à qui l’on a affaire, en présence d’un homme s’avérant simplement ce que son comportement est, à l’instar des animaux… plutôt qu’en présence d’un autre qui agence sa vie sur son adhésion à une vision, une idée ou un projet. Car une telle base, qu’elle soit idéologique ou programmatique, se révèle très instable.

Il y a encore plus mouvant que le bien construit sur des idées : il y a celui reposant sur une dite “ amitié ”. Un homme qui hait les chats, pour des raisons d’écologisme dit-il, découvre que vous avez adopté un chaton… sa fureur est soudain si intense qu’elle s’exprime par un violent mouvement de répulsion, par son regard furieux. Il explose : “ Moi, je tue les chats ! – Ah oui ? – Oui ! mais je ne tuerai pas le tien, parce que tu es un ami ! – Ah ha… 

Vous reposeriez-vous, vous-même, sur une telle déclaration ? Vous seriez bien imprudent… Car son corollaire, c’est que le jour où votre interlocuteur ne vous considérera plus comme “ un ami ”, alors il estimera que la chasse lui est ouverte en ce qui vous concerne, vous et vos proches. Il vaut donc mieux rester circonspect devant les proclamations d’amitié… car l’amitié ne se dit pas, elle se vit. Quand, de plus, celle-ci est très conditionnelle, “ with qualifiers ” (avec des réserves), comme l’énoncent les Anglais, alors… méfiance.

 Mais tant qu’on est amis, c’est bon, non ? On peut voir venir. ” – Eh bien… non. La vie enseigne qu’une “ amitié ” peut être encore plus labile qu’une adhésion à une morale ou une idéologie… De plus, comme la plupart ne s’embarrassent guère de scrupules envers ceux qu’ils considèrent désormais comme des traîtres (“ Il avait mon amitié, il a démérité ! ”), ils ne préviendront pas nécessairement de leur changement de sentiment à votre égard…

Par conséquent, il est préférable qu’un tel “ ami ” ne soit plus admis sur le territoire du chat, par extension dans le vôtre.

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Une quadruple ineptie numérologique

septembre 23rd, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #87.

Fin 1999 – La société globale, surtout dans son étalement anglo-saxon, a versé dans un effarant exercice collectif d’ineptie intellectuelle et cognitive : les amateurs de numérologie, qui attribuent des propriétés physiques ou magiques aux chiffres ou aux nombres, et qui hantent les mass media, accordent une valeur cruciale – cosmique ! – à la date du 1er janvier 2000 dans le calendrier grégorien.

Non seulement refuse-t-on de prendre en considération l’existence d’autres calendriers que celui imposé par l’Occident… nombre d’entre eux ayant déjà, depuis longtemps, dépassé le cap symbolique des 2000 ans !

Mais on se trouve tout excité à imaginer que le cosmos va s’émouvoir d’une célébration sur une petite planète, basée sur un calendrier approximatif, se référant à un événement mal daté… et peut-être plus mythique que réel.

Par ailleurs, la planète en question étant en rotation sur elle-même, le 1er janvier en question commencera, forcément, à des moments différents dans les différentes zones horaires, échelonnés sur un intervalle de 24 heures… De cela toutefois on ne tient nullement compte, et l’on organise sur le web un grand “ top ! ” planétaire pour minuit précis heure de… New York !

Enfin, insulte suprême à l’intelligence, on ne se montre même pas capable de compter jusqu’à 20. On fait l’impasse sur cette notion élémentaire qu’avoir 20 ans, c’est avoir 20 ans révolus : au cours d’un 20e anniversaire, on fête la 20e année échue et l’entrée dans la 21e année. Par simple extension numérique, ce n’est donc pas à minuit du 31 décembre 1999 que 2000 ans auront passé depuis l’entrée dans l’ère dite courante, commune ou chrétienne (EC)… mais au 31 décembre 2000. Durant l’entièreté de l’an 2000, le XXe siècle et le IIe millénaire EC seront toujours en cours, ils ne seront pas encore échus !

Ce n’est pas bien compliqué… mais aucune démonstration numérique, aucun raisonnement ne peut fléchir et faire réfléchir des adeptes de la numérologie : ils fêteront, quand même, un an trop tôt l’entrée dans le XXIe siècle et le nouveau millénaire. Avec pompe, même.

L’incompétence arithmétique la plus obtuse s’ajoute ainsi impérieusement à l’inculture la plus crasse et à l’ignorance officialisée. Déjà il y a un siècle, les États-Unis en délire avaient fêté l’entrée dans le XXe siècle à minuit heure de New York le 31 décembre 1899… donc avec une année d’avance ! À la perplexité de la plupart des Européens et du reste du monde. Mais c’était une autre époque… Depuis, l’American way s’est imposé comme une fatalité à la planète, car il semble que les officiels de deux pays seulement n’ont pas sombré dans le radotage de l’égarement séculaire : la Suisse et Cuba.

Un événement aussi absurde permet à l’observateur attaché à la vérité des choses et conscient de la nécessité d’une dénomination cohérente pour celles-ci, d’entrevoir une réalité essentielle : ni ceux qui détiennent le pouvoir, ni la masse de ceux-là qu’ils commandent, ne se révèlent attachés à la vérité. S’ils l’étaient, ils se contenteraient, en l’espèce, de fêter particulièrement le 1er janvier 2000, c’est tout. Ils n’exigeraient pas, en plus, que l’on adhère à la notion, risible sur tous les plans, qu’on fête ainsi un nouveau siècle et un nouveau millénaire. Néanmoins, ils insistent lourdement dans leur insulte à l’intelligence.

Rien de nouveau sous le soleil : la toute-puissance réside dans le pouvoir de donner le sens que l’on veut aux mots, quand on veut. Si les mots peuvent prendre n’importe quel sens, de façon fluctuante mais conforme, ils ne servent plus la pensée, difficilement contrôlable, mais le ralliement du moment.

Nous avons dit qu’un tel événement présentait un avantage pour l’observateur… Il s’avère très utile de réfléchir aux ramifications sociales et éthiques de cet épisode troublant par sa simplicité et son étendue. Si le pouvoir et le vulgus se permettent avec impunité un illogisme aussi flagrant, que l’on peut détecter aussi aisément… alors on subodore que beaucoup d’autres assertions populaires et officielles, moins évidentes dans leur bizarrerie que celle-ci, cachent soit une désinvolture totale à l’égard des faits, soit des mensonges énormes. Dans les deux cas, on ne peut avoir aucune confiance dans le discours établi.

Ici, le roi est nu. Ça se voit. La foule néanmoins obéit au surmoi social et l’acclame avec enthousiasme. Toutefois, un enfant, mal contrôlé, peut exprimer la simple réalité…

L’écouterait-t-on ? Rien n’est moins sûr…

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Le Grand Marteau et ses petits clous

septembre 22nd, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #86.

Dans un éblouissement nébuleux, certains ont vu un grand marteau dans le ciel. Depuis, pour eux, le monde est entièrement fait de clous.

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De la mesure en toutes choses, y compris dans les vertus

septembre 22nd, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #85.

De l’Orient à l’Occident, l’Antiquité avait su développer, lentement, au prix d’immenses efforts intellectuels et moraux, le sens de la mesure en toute chose. Ç’avait été un fondement de l’enseignement de nombreux philosophes grecs, ainsi que de celui du Buddha, philosophe indien du VIe siècle AEC. Un philosophe chinois du Ve siècle AEC, Maître Mo ou Mozi, philosophe de l’amour universel, l’avait également compris, qui insistait sur cette notion que la compassion excessivement partiale se révélait tout autant un problème éthique… que l’absence de compassion.

En s’imposant, le christianisme balayait ce sens de la mesure. Dorénavant, certaines vertus seront considérées comme pouvant, comme devant croître sans limites… entre autres l’amour et la compassion.

Par ce traitement, les vertus en question perdaient leur qualité… de vertu. Car une compassion qui n’est pas équilibrée par l’équanimité et par l’amour, ainsi que par la capacité à aussi partager la joie, devient vite une affliction morbide. De son côté, l’amour sans compassion, sans joie ou sans équanimité, s’avère facilement un délire hystérique et souvent violent. Quant à la joie systématique, sans perception de la réalité des souffrances dans lequel le monde baigne, sans amour, sans équanimité… elle ne se révèle qu’irréflexion et superficialité. Enfin, l’équanimité, dénuée de compassion, d’amour et de joie, n’est que prétention et froideur.

De plus : ces quatre grandes vertus, que les bouddhistes si justement considèrent ensemble, chacune équilibrant le tout en limitant les autres (les quatre brahmavihârâ), ne sont pas grand-chose sans une vision acérée des réalités du monde, et sans connaissance préalable de celles-ci. Une telle vision lucide et pénétrante, partout et en tout, rappelle, constamment, qu’aucun bien ne peut croître indéfiniment, sans devenir un mal, passé un certain seuil !

En résumé : rien de bon, ou de bien, ne peut se développer sans limites, et la perception de celles-ci nécessite une vision claire des choses. On comprendra que les bouddhistes insistent sur la vision juste, pour commencer…

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L’amour en justification du mal

septembre 21st, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #84.

L’amour se révèle souvent un moteur surpuissant poussant à agir dans un sens contraire à l’éthique – pour faire du mal, en définitive. On aime un tel, ou tel peuple, ou telle espèce… on s’estime alors moralement habilité à commettre toutes les exactions possibles contre le concurrent ou l’adversaire de l’objet d’amour exclusif.

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La fin ne justifie pas les moyens

septembre 21st, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #82.

Indifféremment de la cause qu’ils sont censés servir, les moyens utilisés forment une question cruciale… et éminemment révélatrice. Aussi, avant même d’interroger le fondement d’une action, ou d’une idéologie, il est souvent très utile d’étudier de près les moyens dont elle use. Éthiquement, certes, mais aussi dans leur qualité opérante. De fait, quel que soit l’objectif déclaré, il suffit de déceler un seul moyen malsain ou cruel pour prédire que le résultat, auquel il contribue intrinsèquement, sera pourri.

Sans aborder l’aspect éthique des fins recherchées elles-mêmes, voici, pour illustrer le propos, quatre exemples de moyens utilisés qui s’avèrent ou se sont avérés assurément malsains.

Pourquoi, exactement, infliger des sévices aussi cruels à ceux-là accusés d’hérésie ou de sorcellerie ? Pourquoi, exactement, massacrer les familles royales et leurs proches, et de ces façons-là, à l’occasion des deux grandes révolutions européennes, la française et la bolchévique ? Pourquoi, exactement, torturer longuement et systématiquement des prisonniers ? Pourquoi, exactement, utiliser des poisons ou des pièges atroces pour faire périr, dans de longues agonies, les loups et les coyotes d’Amérique du nord ainsi que les renards et les chats sauvages d’Australie ? – Parce qu’il le fallait ! Parce qu’il le faut ! entend-on… et puis c’est tout, en définitive.

Cette “ justification ” s’avère indigente… On aura compris que l’honnête homme juge cruels de tels moyens, par là qu’ils ne peuvent, jamais, se justifier éthiquement. On insistera, aussi, sur le fait qu’ils s’avèrent inopérants pour la “ cause ”, en définitive. En effet, que pouvait-il, que peut-il advenir d’un mouvement ou d’une société coupables de tels crimes ? Rien de bon. Ils auront instillé, dans leurs propres esprits, une toxine sournoise.

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Malheur aux doux !

septembre 20th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #81.

On reste frappé par la férocité de ceux qui se réclament de “ causes ”, lorsqu’ils estiment devoir servir celles-ci par des sacrifices sanglants.

Par exemple, la férocité des “ humanistes ” et des “ religieux ” à l’égard des animaux : aimer “ l’homme ” nécessiterait la haine “ des bêtes ”. Ou celle des “ real patriots ” (vrais patriotes), selon qui on peut, on doit tout faire à un ennemi, prisonniers inclus. Ou celle des “ bons croyants ”, à l’égard des infidèles, “ kafirs ” et autres mécréants, qu’ils estiment dignes de sévices. Ou encore celle des “ bird lovers ” (amoureux des oiseaux), qui approuvent les pires violences infligées aux chats. La liste semble interminable…

Un cas intéressant est celui des “ partisans de l’avortement ”… À l’origine, il s’agissait d’une ellipse pour “ partisans de la légalisation de l’avortement  ; une tournure de phrase abrégée qui s’imposa seule sur le plan langagier lorsque la légalisation fut acquise. Et qui s’imposa d’autant plus facilement qu’il y avait, qu’il y a toujours, réellement… des partisans de cette tragédie pour une femme, de cette horreur pour un fœtus !

De façon générale, nombreux sont les humains qui font dépendre leur part, affichée, de bons sentiments obligés, d’une autre part, beaucoup plus vaste et encore plus obligée, de mauvais sentiments. Férocité bien pensante, que ses adeptes veulent rendre obligatoire pour tout le monde. Ils sont virulemment opposés aux injonctions : “ Bienheureux les doux ”, ou “ Vivre et laisser vivre ”. Dans leur esprit, c’est plutôt : malheur aux doux !

Une simple réticence à ce niveau, même d’ordre général, suffit pour faire de l’honnête homme, à leurs yeux, un traître.

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La meilleure façon de procéder

septembre 20th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #80.

Dans les activités quotidiennes, pour toute manière de procéder, il convient de s’arrêter parfois… afin de s’assurer qu’on emploie bien la meilleure. En effet, même si tous les gestes se révèlent bien utiles, c’est leur agencement exact qui peut décider de leur efficacité d’ensemble. En s’arrêtant ainsi, en suspendant le processus, on peut, dans le concret, imaginer des variantes de réalisation. Une fois identifiée la meilleure parmi celles-ci, il vaut mieux s’y tenir, car son exécution deviendra de plus en plus fluide, grâce à la pratique répétée… jusqu’au prochain arrêt sur image, où l’on récapitulera.

Cette approche n’est pas la plus courante. Certains changent sans cesse de procédé, au hasard. D’autres, les plus nombreux, ne comparent jamais les différentes approches possibles : la première qu’ils ont trouvée et qui a marché, ils l’ont adoptée et ils la gardent… sans plus penser à une alternative.

On remarque souvent ce phénomène dans le monde animal : un individu trouve le moyen de s’acquitter d’une tâche ou d’un besoin, les autres commencent à l’imiter… et hop une culture locale est née. Il est rare qu’une approche différente soit tentée puisque celle désormais en usage commun convient… plus ou moins, mais suffisamment !

D’autant qu’on encourt la désapprobation sociale en procédant différemment de l’habitude établie.

Parfois, quand même, un personnage s’y risque… quel bonheur, alors, pour l’observateur de hasard qui saisit ce moment !

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Le sérieux et le rire

septembre 19th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #78.

Une culture multi-millénaire à l’instar de celle des Anciens Égyptiens, des peuples aussi éloignés l’un de l’autre que les Yakoutes de Sibérie et les Peuhls du Sahel, des individus aussi différents l’un de l’autre que Nietzsche (« Un homme a mûri quand il a retrouvé le sérieux qu’il mettait dans ses jeux, enfant. » – Par-delà bien et mal, 94) et Péguy (« Qu’est-ce qu’un prophète ? Un homme indigné. […] J’ai toujours tout pris au sérieux. »)… ont en commun d’avoir parfaitement compris que le sérieux est fondement constitutif de la sagesse et de la dignité.

Le sérieux authentique – qui s’avère toujours simple et en cela entièrement distinct du compassé – est sève de régénérescence.

Pour autant qu’il soit associé au tact et à l’entregent, donc à l’humour, il permet la vision juste et soutient la force morale. Dans un sourire léger. Alors que les ricanements canailles, depuis la nuit des temps, entraînent les humains dans des boyaux pestilentiels, étouffant non seulement la pensée vivifiante, mais aussi le rire vrai, qui est soleil de bonté.

Nietzsche encore : « J’en suis encore à chercher un seul Allemand avec qui je puisse être sérieux à ma manière – et à plus forte raison un Allemand avec qui je puisse être gai ! » – Crépuscule des idoles, VIII.3.

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Le bon conteur

septembre 17th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #73.

Je peux prendre du plaisir aux histoires les plus irréalistes, les plus folles, du moment qu’elles sont contées avec charme et intelligence. Sinon, ce n’est qu’un long ennui… cruellement prolongé par d’interminables rebondissements.

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Amoindrissement de la diversité mentale dans la société

septembre 17th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #72.

L’utilisation de poncifs et de clichés s’étend dans la population ; parallèlement, leur diversité diminue. Il n’y a rien d’étonnant à cela. La source, commune, se réduit à mesure que la technologie digitale s’étend. Avant, on passait plus de temps à discuter en famille, avec des copains, au bistrot. On avait le temps de faire des variantes, et on avait de la place pour celles-ci. Maintenant, ce sont les mêmes lieux communs qui se trouvent, disons, réfléchis… par les mass media et par les réseaux sociaux, très vite et à l’infini.

On a voulu faire croire que, grâce aux nouvelles technologies, chaque utilisateur s’approprierait un nouveau pouvoir, hautement personnalisé. Alors qu’en réalité, le pouvoir de contrôle conformiste et conformisant, centralisé comme jamais (mais dans un centre se masquant), s’est étendu et affermi… tout en donnant à chacun un os à ronger : l’illusion d’une personnalisation.

À mesure que grandissent en parallèle cet empire et cette illusion, l’originalité et l’authenticité s’amoindrissent, forcément.

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Reconnaître le méchant

septembre 16th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #70.

Demandez comment on reconnaît un être foncièrement méchant. La réponse la plus spontanée est qu’il a l’air méchant. Insistez pour un peu plus de réflexion… et vous entendrez qu’un méchant ne semble pas aimer beaucoup de monde. C’est une réponse qui n’est pas dénuée de bon sens apparent… mais qui se révèle fondamentalement erronée (car il y a des êtres qui n’aiment pas grand monde, sans être méchants pour autant).

Le trait distinctif du méchant, par rapport aux autres, c’est qu’il cherche à nuire… et qu’il agit en ce sens (la parole délibérée étant une forme d’action).

Les autres, soit ils y pensent (un peu) mais s’avèrent trop faibles ou indolents pour agir… soit ils n’y pensent pas, se bornant à éviter de croiser ou de côtoyer ceux qui les mettent mal à l’aise. Parmi eux, les plus nombreux appartiennent à la première catégorie.

Ceux de la seconde catégorie, plus rares, ne sont pas nécessairement gentils avec tout le monde, même si eux-mêmes en jugent autrement – simplement, ils vont leur propre chemin (parfois jouant des coudes… mais sans penser à mal). C’est tout. D’un point de vue moral, c’est déjà assez bien.

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Les dénigreurs grincheux

septembre 15th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #65.

Combien de dénigreurs systématiques, moralisateurs grincheux, semblent consacrer tout leur temps et toute leur énergie à gêner l’action, ou à détruire l’œuvre des autres ; les empêchant de bien faire, les empêchant de faire du bien, de faire le bien.

Parce qu’ils estiment que cela doit être fait autrement !

Alors qu’il y a moult façons de bien faire… que les faiseurs de bien ont eux-mêmes leurs besoins psychologiques et qu’en définitive, comme le disent les Suisses allemands : “ jedem Tirschen sein Plaisirschen ” – à chaque petit animal son petit plaisir.

À chaque être son mode de célébration et de solidarité.

Eh bien, non ! Rien n’y fait pour ces esprits saumâtres : ils estiment qu’eux-mêmes feraient mieux (on note l’emploi du conditionnel) que la victime de leurs sarcasmes – ce qui reste à prouver, car ces dénigreurs ne mettent pas beaucoup d’empressement à faire eux-mêmes quoi que ce soit.

Ou alors, l’origine essentielle de leurs dénigrements se révèle moins tordue et plus triviale : le goût de l’excitation le disputant chez eux à la paresse, ils optent pour le stimulus le plus primitif – celui de l’attaque et de la destruction.

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Véganisme réduit à sa portion végétalienne

septembre 14th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #64.

On a réussi une opération réactionnaire particulièrement habile en réduisant le véganisme au seul aspect nutritionnel, le végétalisme, c’est-à-dire une alimentation entièrement végétale. Cette amputation conceptuelle se révèle drastique car le mot “ végétalisme ” a disparu des mass media… même si son concept s’avère plus d’actualité que jamais.

L’opération fut très simple : réduit à la dimension alimentaire, le mot “ végan ” a pris la place de “ végétalien ”.

De cette façon, le véganisme ne se trouve plus perçu comme une éthique de vie d’abord, une éthique cherchant à infliger aussi peu de souffrance que possible aux êtres sensibles… mais tout simplement comme un régime alimentaire. Or, comme la plupart des régimes alimentaires se révèlent foncièrement basés sur une impulsion parfaitement égocentrique (être moins laid, en meilleure santé, plus performant, etc.), et pas altruiste… on voit par là combien le terme de véganisme a été profondément dévoyé.

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Rareté de la raison et de la rationalité dans les sociétés humaines

septembre 13th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #62.

L’effort intellectuel est rarement consenti. En effet, si les êtres humains se montrent souvent prêts à de grands efforts émotionnels et physiques, voire à des souffrances réelles… ils sont rarement disposés à des processus intellectuels élaborés, pourtant rendus nécessaires par la complexité intrinsèque de toute chose réelle.

D’où le succès des démarches à caractère magique, qu’elles soient sacrées ou profanes. Quand on consent à des efforts mentaux, ces derniers consistent, tout simplement, à reconnaître des mots-clés, plutôt qu’à sérieusement tenter de discerner des mécanismes, dans leurs détails.

Aussi la raison et la rationalité s’avèrent-elles historiquement exceptionnelles. Elles n’ont une chance de s’imposer socialement que si les élites et les dirigeants y ont eux-mêmes souscrit pendant plusieurs décennies consécutives. Dès que faiblit cette adhésion de leur part… elles s’évanouissent du corps social, très vite.

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Les faits et leur présentation : approches

septembre 13th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #61.

Le sage et le philosophe accordent autant d’importance à s’assurer de la solidité des faits… qu’à les penser et à les expliquer.

Par contraste, les ras-du-sol au mieux accumulent quelques données… mais ensuite ne savent qu’en faire. Alors, ils ont recours à une forme de magie qui, dans sa version moderne, s’appelait statistique descriptive… et qui, dans sa forme post-moderne, s’appelle “ représentation graphique ”.

Les raconteurs d’histoires, eux, ne s’attachent qu’à quelques éléments, soigneusement sélectionnés, qu’ils adaptent à leur besoin : leur “ vision ” passe avant tout, envers et contre tout – parfois (rarement) c’est joli…

Quant aux grands menteurs, ils trompent tout le temps, tant sur les soi-disant faits exposés que dans leurs explications : chacun de leurs mots, chaque mouvement de leur corps se révèle un mensonge – et ce n’est jamais joli.

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La vérité en tant que procédé particulier

septembre 13th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #60.

Les avancées fulgurantes de la science, ainsi que l’effondrement des légitimités religieuses, puis les innombrables dangers et nuisances liés aux nouvelles technologies, ont fait naître un discours dépréciateur de la notion même de vérité : les anciennes vérités n’ont plus cours, les nouvelles ont permis des découvertes et des réalisations dangereuses… donc la vérité s’avère inutile voire nuisible. On jette ainsi le bébé avec l’eau du bain.

Cette attitude, disons désinvolte, relève de la paresse morale et intellectuelle. Ses adeptes, en définitive partisans du n’importe quoi, ne voient pas que la vérité et l’instinct de vérité [1] résident dans un procédé particulier… pas nécessairement dans un énoncé particulier. La vérité n’est pas simplement un préjugé tenace. Elle s’avère une approche de recherche rigoureuse et efficace (la science), ou bien une intuition [2] profonde, pertinente et élévatrice (la méditation [3], la poésie [4])… qui permettent de percevoir pleinement une réalité, et de la qualifier part de vérité.

[1] Cf. supra le texte no 24, « Le rare instinct de la vérité ».

[2] Cf. supra le texte no 55, « Intuition ».

[3] Cf. « L’abîme et la fourmi », texte no 78 de Pensées pour une saison – Hiver.

[4] Cf. « Le poème comme épiphanie », texte no 22 de Pensées pour une saison – Hiver.

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Quelle vérité ?

septembre 12th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #59.

Chaque fois que l’on entend le mot “ vérité ”, il faut s’arrêter. Pratiquer la suspension, l’épokhê des philosophes sceptiques grecs [1].

S’agit-il de “ La Vérité ”, avec deux majuscules… ou de la vérité des choses ? S’il s’agit de la première, il faut comprendre que l’interlocuteur a en tête une forme de Révélation… et s’avère indifférent, voire hostile, à la vérité des choses, celle que l’on découvre par la recherche, la raison et l’expérience. Car il est hostile à la réalité qui, le plus souvent, se révèle réticente à sa Révélation.

[1] Cf. supra le texte no 17, « La suspension du geste ».

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Intuition

septembre 10th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #55.

La véritable intuition est un regard éminemment attentif, pas un jugement à l’emporte-pièce.

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Un couple de forces

septembre 10th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #52.

La vie se révèle l’expression brouillonne, mais diablement tenace, d’un couple de forces antagonistes : le hasard, soit la contingence, et l’anti-hasard, soit la nécessité.

Depuis des milliards d’années elle est sans cesse en émergence, avec une structure cellulaire de base définie… mais dans une variété de formes surprenante suite à la duplication, répétée aussi exactement que possible, de réplicateurs porteurs d’instructions et soumis, dans un chaos incessant, à des petites modifications aléatoires. Toutes ces formes, les anciennes comme les nouvelles, se trouvent continuellement sous le tamis de la sélection naturelle. Un tamiseur qui souvent se comporte en broyeur. Ce qui ne peut pas durer… ne durera pas. Ce qui pourrait durer… durera peut-être.

Sur cette planète, la forme chimique générale des réplicateurs, qui s’est imposée aux origines de la vie, est l’ADN, l’acide désoxyribonucléique. Un nom à la consonance étrange et alambiquée, convenant parfaitement au mystère obscur, complexe et touffu qu’il recouvre.

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Rectitude morale et rigueur intellectuelle

septembre 10th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #51.

La rectitude morale et la rigueur intellectuelle sont étroitement liées. Ceux qui se complaisent à dire n’importe quoi, n’importe comment, qui gambergent ou qui agissent sans connaissances préalables et en dehors de toute raison, en général pratiquent une éthique se voulant de haut vol… et à géométrie très variable. Ceux-là pour qui l’éthique consiste à trouver bon (et obligatoirement bon) ce qui les arrange, eux, sur le moment, se révèlent les premiers à pratiquer la pensée magique, en déconnection de tout principe de réalité et sans aucun respect pour la vérité des choses.

On peut aussi relever que les gens de mauvaise tenue, se vautrant dans la laideur, n’ont jamais ni rectitude morale, ni rectitude intellectuelle. Alors que celui qui pratique, avec constance, ces deux vertus, s’avère souvent ami de la beauté.

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Le fonctionnement clanique

septembre 10th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #50.

Dans un clan, les règles de comportement sont strictes : on ne se fait pas de mal entre membres de celui-ci. À l’intérieur d’un clan soudé, on respecte entre soi la règle d’or antique : “ Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse et traite les autres comme tu voudrais qu’on te traite. 

En revanche, contre ceux-là qui sont extérieurs au clan, non seulement peut-on commettre tout le mal que l’on veut… mais on le doit [1].

Certaines sociétés ne sont jamais sorties du mode de fonctionnement clanique ; qu’elles s’imaginent hautement civilisées du fait de leur puissance n’y change rien. Les étrangers et les animaux s’y trouvent toujours destinés à être trompés voire violentés – en agissant de la sorte le forban donne, à son clan, à la fois des gages d’intelligence et de loyauté.

Corollaire : ceux qui pensent et fonctionnent en termes d’éthique, estimant que la règle d’or doit s’étendre aux autres que les proches… sont considérés dans les sociétés claniques comme stupides, ou traîtres.

[1] Cf. supra le texte no 10, « Morale militaire et morale individuelle ».

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Les clubs de moralisateurs enthousiastes

septembre 9th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #48.

Moralisateur n’est pas moraliste, pas plus que fans de sport ne sont sportifs. Les rassemblements de moralisateurs, qu’ils soient de type religieux ou politique, se ressemblent tous, foncièrement. Ils donnent la primauté à l’opinion conforme et à l’adhésion aveugle, au détriment de la détermination des faits et de l’intelligence de l’analyse. Rapidement, on y passe de l’enthousiasme à l’exaltation.

Ces clubs de narcissiques hautement satisfaits de soi, où l’on rivalise d’exaltation et de fanatisme, de vertu indignée et d’hypocrisie, dérivent très vite dans l’irrationalité hystérique – puis dans le plus fervent irrationalisme. Mode opératoire d’abord privilégié… obligatoire ensuite. Par là, fatalement, ces groupements sombrent dans la violence totalitaire.

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Le félin qui tue et les canidés qui massacrent

septembre 9th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #47.

Il vaut la peine de comparer, dans un film au ralenti, l’expression quasi impassible, la concentration sans frémissement d’un félidé dans sa phase finale de chasse – à la férocité, l’agitation de l’expression, chez les chiens et les loups.

La fascination qu’exerce, dans son action précise, l’altière et fière beauté du félin… réfrène tout frisson de réprobation chez le spectateur sensible à l’élégance. Alors qu’avec les seconds, on se retrouve dans un film d’horreur ! D’autant que le premier tue plutôt vite, d’une morsure efficace qui brise la nuque, ou par une prise suffocante, alors que le plus souvent, chez les grands canidés, c’est une curée épouvantable et une boucherie interminable.

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L’opinion d’un seul contre la foule

septembre 8th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #45.

L’opinion d’un seul, solitaire par goût, lorsqu’il s’avère studieux, honnête et raisonnablement intelligent – vaut plus que celle de tous les autres… s’ils ne présentent pas en chacun d’eux-mêmes ces trois qualités jointes.

Car une foule se constitue dans une pulsion aux antipodes de celles-ci… et impose sa direction à chaque individu qu’elle capte. Il suffit de quelques-uns exhibant la mentalité type d’une foule pour que tous ceux-là rassemblés autour d’eux emboîtent le pas… s’ils ne résistent pas activement.

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L’enfer est pavé de bonnes intentions

septembre 8th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #43.

L’enfer est pavé de bonnes intentions. Des intentions non réalisées… mais aussi, toutes celles qui ont mal tourné – ou trop bien tourné.

Cela étant, quel paradis peut-il être imaginé, construit et maintenu… sans bonnes intentions préalables ? Il faut simplement rester très prudent, se souvenir qu’enfer et paradis se révèlent géographiquement voisins… et ne pas se contenter de bonnes intentions. Il faut suivre de près, de très près, leur mise en œuvre… et s’assurer que les intentions d’origine demeurent intactes.

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Connaître et comprendre, pour faire le bien

septembre 7th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #41.

Celui qui est bon doit apprendre à agir avec bonté. Ce n’est pas simple. En effet, pour faire le bien, il faut comprendre ; pour comprendre, il faut connaître. Ainsi la bonté ne devient-elle opérante que jointe à la connaissance, en un couple de forces puissant. Cela exige un grand effort. La paresse ne peut donc pas être une alliée fiable de la bonté…

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Extermination purificatrice des parasites et de leurs hôtes

septembre 7th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #39.

 Il faut exterminer les félidés, afin d’extirper le parasite protozoaire Toxoplasma gondii et la toxoplasmose ! 

Certes… Tant qu’à faire : exterminer l’être humain, afin d’extirper les vers plats parasites, Taenia saginata et Taenia solium, dits vers “ solitaires ”, qui infectent de nombreuses espèces animales mais qui dans leur cycle de reproduction ne peuvent se passer du genre Homo. Bonus : on se retrouverait ainsi à extirper la guerre et la pollution, aussi…

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Sens unique obligatoire

septembre 6th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #35.

 La peur est source de toutes les haines ! ” – Hmm… C’est peut-être une simplification excessive ? puisque de son côté la haine engendre la peur…

Crispation de mon interlocuteur, adepte du sens unique et de la linéarité simple : “ Non, non, ce n’est pas comme ça ! Cela ne se fait que dans le sens que je viens d’énoncer ! 

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La maison du bonheur

septembre 6th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #33.

La maison du bonheur est celle où chacun a le cœur au bonheur de chacun, dans les petites choses comme dans les grandes. Chacun y bénéficie de la gentillesse et de l’attention de chacun ; cela fait naître, chez tous, le désir, constamment revivifié, de coopérer au bonheur ambiant. Certes, rien n’est simple dans l’existence… mais tout se déroule dans un esprit de solidarité et finit dans la joie partagée.

Dans la maison entière, rires, sourires, légèreté, grâce et sérieux renouvellent le sentiment d’éveil ensoleillé de chacun, pour tous. C’est La Maison de Caroline, avec ses petits amis, celle d’un grand album illustré de 1956 [1], celle de mes rêves d’enfant.

[1] Par Pierre Probst.

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Attentifs et réceptifs

septembre 5th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #31.

Les animaux sont généralement attentifs et réceptifs aux séquences et aux enchaînements de toutes sortes dans leur environnement. Les humains, le plus souvent, se révèlent trop agités ou trop narcissiques pour cela, particulièrement en milieu urbain, ou dans un environnement technologique dit “ connecté ”.

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Le sopraniste de passage

septembre 4th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #30.

Alors que je déambule sur notre terrain à Kangaroo Island, j’entends un bruit d’ailes : un oiseau s’est posé dans un grand Callistemon étalant généreusement ses fleurs bottlebrush, rouges à anthères jaunes. Je suis aussitôt frappé par un chant mélodieux, très particulier, ne correspondant à rien de connu dans le coin.

Quel oiseau échappé d’une cage pouvait bien se trouver à l’origine de cette inhabituelle merveille sonore ? Perplexe, je discerne le chanteur, mais de dos seulement… et il semble un red wattle-bird !

Pas possible ! Ces derniers, très agressifs à l’égard des autres oiseaux et peu portés sur la poésie, se contentent de grincements et de craquements de voix bien peu harmonieux. Mais là, cet individu chantait avec des accents de merle noir doté d’un coffre puissant !

Abasourdi, je fais le tour de l’arbuste, l’air de rien, afin d’observer de profil ce drôle d’oiseau. Tiens… un nouveau-venu : un little wattle-bird, nom d’espèce Anthochaera chrysoptera, de la famille australasienne des passereaux meliphagidés, ou honey-eaters. Des amateurs de nectar de fleurs.

Je l’écoute avec ravissement, jusqu’à son envol.

Ce fut hélas une première et une dernière. Je suis souvent revenu sur le lieu du miracle, mais je n’ai plus jamais entendu ce chant clair et suave. Mes livres d’ornithologie locale jugent que la voix des individus de l’espèce n’est pas belle… Mais ce personnage, pardon ! quel génie ! Ou alors, une confirmation que les anglo-saxons ont une oreille différente.

Mon épouse, une seule fois, dans le même coin, le vit et l’entendit. Et c’est tout. Qu’es-tu devenu, chanteur de passage ?

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Les deux roulottes, tirées par un cheval blanc et un cheval noir

septembre 4th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #29.

Certains ouvrages ont une qualité onirique particulière, ils peuvent marquer une vie quand on les découvre tout jeune.

Le Club des Cinq et les saltimbanques, d’Enid Blyton (Nouvelle Bibliothèque rose, 1965), s’est révélé un de ceux-là. Il offrait un titre et une couverture sur lesquels je ne cessais de rêver, dans ma petite enfance soudanaise.

L’illustratrice Jeanne Hives avait dessiné un double mouvement d’ensemble, très élégant, reproduisant en ombres chinoises les quatre personnages humains. On remarquait d’abord un beau cheval blanc pommelé, au harnais noir, guidé par un enfant, tirant fièrement vers la gauche une jolie roulotte verte à bandeau rouge, dotée d’une petite cheminée, avec une fille heureuse à la fenêtre, le visage tourné dans la direction prise et faisant un gracieux mouvement des bras.

Au-dessous, un deuxième beau cheval, noir celui-là et au harnais jaune, également guidé par un enfant et tirant tout aussi fièrement, vers la droite cette fois, une autre jolie roulotte, rouge à bandeau vert, elle aussi nantie d’une petite cheminée, avec une deuxième fille heureuse à la fenêtre… ainsi que le chien Dagobert à une seconde, plus petite fenêtre !

Quel doux programme annoncé sur cette couverture inspirée. Amitiés entre humains et animaux, liberté, responsabilité. Le récit, avec ses animaux de cirque émouvants, était à la mesure des rêves ainsi provoqués. Par ailleurs, à la page 96, Jeanne Hives avait créé une merveilleuse illustration couleur pour le texte, si onirique : « Les cinq enfants prirent d’abord des chemins de traverse. » Dans un charmant décor de montagne, représenté avec une légèreté de touche artistique qui faisait rêver d’envol, les enfants escaladaient une pente et ses rochers, découvrant avec émerveillement une plante alpestre bourgeonnante à grandes fleurs roses échancrées, aux longues feuilles dressées.

Cette illustration avait fait naître en moi la conviction que le paradis m’attendait à Chamonix, où nous fuyions chaque année, en été, la chaleur étouffante de Khartoum. Par la suite, en 1970, alors que nous nous étions retrouvés exilés pendant plusieurs mois dans ce qui, à l’époque, était une très belle station alpine, j’avais cru que je l’avais enfin trouvé, mon paradis…

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Livres, mes amis

septembre 4th, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #28.

Les bons livres sont des amis calmes, fidèles et fiables. Aussi, quand il faut m’en séparer, quelle tristesse. À l’instar des merveilles qu’offre la nature, je peux rester des heures à les contempler, à les explorer, à réfléchir, à prendre des notes, dans un bonheur toujours renouvelé.

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L’intuition du hasard

septembre 3rd, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #25.

L’être humain naît mentalement pré-formaté à une vision essentialiste (toute chose a une essence avant même d’exister), qu’elle soit spiritualiste ou animiste, de lui-même comme de son environnement. Avec son corollaire : lorsqu’il n’est encore qu’un petit d’homme, il ne peut rien concevoir en termes de coïncidences. Car tous ses traitements mentaux, qu’il exerce depuis sa pénible naissance avec acharnement, ainsi qu’avec talent si l’on considère les difficultés inhérentes aux circonstances, ont pour but de discerner la nécessité des choses.

C’est une question de survie. Il lui faut, impérativement, se structurer en structurant. Ainsi, pour lui, tout ce qui est… doit être, ne peut pas ne pas être. La contingence des choses, l’aspect fortuit, accidentel de celles-ci, lui échappe totalement : rien de ce qu’il perçoit peut ne pas être… donc rien ne peut arriver par hasard.

Bien plus tardivement au cours de sa vie, il réalisera que la contingence se conjugue à la nécessité pour former, ensemble, un couple de forces organisateur de l’univers. Une telle réalisation mentale et cognitive, ardue, complexe, ne peut survenir qu’à un âge plus avancé. Elle se révèle rare, par ailleurs.

Parmi les adultes qui n’ont pas procédé à cette démarche, il est des cas particulièrement intéressants sur le plan psychologique : ils reconnaissent que leur perception intellectuelle et existentielle, celle qui date de leur petite enfance, ne convient plus… mais ils le supportent mal et adoptent des faux-fuyants plus ou moins élaborés.

Certains d’entre eux, sophistiqués, évoqueront bien le hasard… mais comme une simple extension de la nécessité, ce qui revient, en définitive, à lui nier toute existence propre, donc réelle.

Ainsi Anatole France, en 1894 : « Il faut, dans la vie, faire la part du hasard. Le hasard, en définitive, c’est Dieu. » (Le Jardin d’Épicure, #55). C’est un aphorisme séduisant, mais il aurait tout aussi bien pu être formulé dans l’autre sens : Il faut, dans la vie, faire la part de Dieu. Dieu, en définitive, c’est le hasard. En fait, un tel énoncé inverse de l’original serait plus vraisemblable, puisqu’on peut imaginer le hasard existant avant Dieu ou l’univers… et que le Grand Démiurge s’avère une construction, très ad hoc et très post hoc, d’un esprit humain dépassé !

D’autres, encore plus sophistiqués, à l’instar du réalisateur français Chris Marker, diront : « Le hasard a des intuitions qu’il ne faut pas prendre pour des coïncidences. » C’est à nouveau un aphorisme séduisant mais, comme pour le premier, il faut rester circonspect, car il se révèle pénétré d’idéalisme, au sens philosophique. Par ailleurs le hasard y prend toujours une allure personnifiée, même si c’est moins affirmé ici… le démiurge se révélant un peu plus hésitant, ou plus délicat, que dans un discours monothéiste. Là encore, comme dans le premier aphorisme, le hasard, en définitive, est nié.

Ce n’est vraiment pas évident pour les humains, dont la plupart sont nés platoniciens, de quitter leur caverne. D’aller au-delà de celle-ci… Plutôt que d’y rester indéfiniment, à rêver d’au-delà.

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Le rare instinct de la vérité

septembre 2nd, 2023

In Pensées pour une saison – Printemps, #24.

On peut croire, très raisonnablement, que l’observation des faits vient avant la théorie – avant leur explication donc. En réalité, on ne peut pas observer correctement sans vision juste d’abord… car rien ne s’avère discernable sans un bon canevas mental.

C’est subtil… et c’est pourquoi seuls quelques-uns ont l’instinct de la vérité.

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