Category Archives: épistémologie et philosophie des sciences
Dérive antipodale des mots : cartésien
octobre 8th, 2023In Pensées pour une saison – Printemps, #111.
Quatrième cas. Au début du XVIIe siècle, Descartes [1] avait à cœur de bien conseiller le croyant se voulant bon catholique (quelques années plus tard, son cadet, Pascal, fera de même à l’intention des protestants). Il estimait que, chez celui-ci, le crédit accordé à l’observation et aux messages des sens ne devait, en aucun cas, prendre le pas sur la confiance en l’esprit – i.e. en l’intellect, les sentiments et les bonnes convictions religieuses : ces dernières qualités émanant directement de Dieu, par là ne pouvant induire en erreur. Les raisonnements du penseur spiritualiste, métaphysiques essentiellement, se voulaient destinés à mener le lecteur dans cette direction – en particulier dans la conviction qu’il fallait se méfier des communications des sens et se fier, plutôt, aux réflexions pures de la conscience (« je pense, donc je suis » [2])… à l’instar de Parménide d’Élée, inspirateur de l’idéalisme grec au Ve siècle AEC.
Parce qu’il était intelligent et bon mathématicien, également en raison du titre et du sous-titre de son ouvrage principal (Discours de la méthode – Pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences, 1637), les chrétiens parmi les plus éduqués se forgèrent l’idée que le cartésianisme impliquait… une expression de pensée rigoureusement logique et rationnelle. On aura compris que cela correspondait bien plus aux attentes de la société française de l’époque, qu’aux intentions effectives de l’auteur.
Quatre exemples instructifs sur les détours et aboutissements étranges que peuvent prendre les mots, dans leur sens. C’est troublant, quand des dérives sémantiques se révèlent à ce point antipodales.
[1] Cf. « Système vivant n’est pas machine », texte no 11 de Pensées pour une saison – Hiver.
[2] « […] je pense, donc je suis […] » – Descartes, René [1596-1650], Discours de la méthode, 1637, 4e partie. Cf. infra le texte no 112, « Une promenade langagière autour du syllogisme : syllogisme bien construit ».
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Dérive antipodale des mots : épicurien
octobre 8th, 2023In Pensées pour une saison – Printemps, #109.
Deuxième cas. Au début du IIIe siècle AEC, dans un monde hellénistique bouleversé par les vastes conquêtes d’Alexandre de Macédoine [356-323], l’enseignement prodigué en son jardin par Épicure [341-270] prônait une vie équilibrée, fondée sur la simplicité des besoins, sur le respect de ces besoins, et sur la juste appréciation de la valeur fondamentale de cette simplicité.
La simplicité se révélait une source renouvelée d’harmonie en soi et autour de soi, elle permettait au corps et à l’esprit de s’épanouir. Une vie harmonieuse traitait le corps en allié et clarifiait l’esprit. Dès lors, on pouvait non seulement mieux discerner la réalité matérielle du monde et de ses phénomènes, mais grâce à cette clarté du regard on pouvait contempler la mort pour ce qu’elle était, simplement, et ne plus la craindre inutilement. Un adepte d’Epikouros, ‘ l’allié ’, se comportait ainsi en sage réaliste et paisible, vivant heureux de l’essentiel et fréquentant seuls quelques amis choisis.
En aucune façon ne s’agissait-il d’hédonisme, soit la recherche prioritaire de plaisirs dans la vie, ni de sybaritisme, soit une recherche exagérée de luxe et de luxure – une philosophie, respectivement une culture, ayant réellement existé dans le monde hellénisé, mais en dehors de toute influence et de tout contexte épicuriens. Au sein d’un monde troublé, l’épicurisme connaissait beaucoup de succès, dans toutes les strates de la société, et ce succès lui valait des ennemis. L’amalgame qui fut ainsi fait de “ l’enseignement du jardin ” avec l’hédonisme et le sybaritisme s’avéra une calomnie, répandue à la fin de l’Antiquité par deux idéologies en concurrence avec l’épicurisme, soit le stoïcisme, puis le christianisme.
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Le poids de la mémoire, la concentration mentale et le glissement de la perception du temps
octobre 6th, 2023In Pensées pour une saison – Printemps, #107.
Petit enfant au Soudan, j’étais conscient de la faiblesse de mon esprit et de mes connaissances. Pour me former, pour grandir, je m’exerçais, déjà, à des exercices mentaux de toutes sortes.
Examiner attentivement les mots dans le Petit Larousse illustré que nous avions dans notre maison de Khartoum, surtout les planches graphiques, qui me fascinaient par leur diversité de thèmes. M’exercer à les mémoriser. Réviser les livres scolaires envoyés par cette extraordinaire institution qu’était le CNTE (nom, à l’époque, du Centre national d’enseignement à distance). Me concentrer sur un arbre, sur un personnage, sur un paysage, que je m’efforçais de garder à l’esprit dans leur apparence, parfois que je tentais de dessiner ou de peindre, selon les instructions de cette autre admirable institution française, l’école de dessin (par correspondance !) A.B.C. de Paris. Comme je me sentais ignorant, petit, faible et maladroit ! Et combien l’étais-je. Je m’appliquais néanmoins, patiemment, obstinément.
À l’époque, lorsque je tentais de penser consciemment à telle ou telle chose, il n’y avait pas trop de stimuli mentaux pour me gêner dans mon effort d’attention… juste une grande maladresse cognitive et intellectuelle de ma part. Dont j’avais honte.
Parfois, je me retrouvais à devoir passer du temps dans des situations où il me semblait qu’il n’y avait rien à apprendre… par exemple lors d’une fête de birthday d’un des enfants des communautés anglaise ou américaine de la capitale soudanaise. À chacune de ces invitations, j’étais catastrophé d’avance. Ensuite, c’étaient des heures de purgatoire… au cours desquelles les heures s’écoulaient avec une lenteur accablante. Je regardais mille fois l’aiguille des secondes, je comptais… 60. Une minute seulement s’était écoulée ! Le temps me semblait un liquide épais et poisseux, dont je ne pouvais pas me désengluer.
Alors je me réfugiais, même au cours des jeux à participation obligatoire, dans mes exercices mentaux… forcément, les enfants et adultes autour de moi me jugeaient “ dumb ” – stupide. On pourrait croire que cela m’affectait, mais non, venant de la part de ces gens, je n’en avais cure.
À l’âge de 12 ans, alors que ma famille s’était définitivement fixée à Genève, je me retrouvais, pour mes six dernières années de scolarité, emprisonné dans une école. À temps partiel (car à la différence d’autres malheureux je n’étais pas “ un interne ”), mais quand même pour la plus grande partie de mon temps vécu à l’état d’éveil. Six années interminables. Les deux premières, je les passai uniquement à survivre, mentalement et physiquement, dans un environnement humain qui m’était hostile, parfois violemment.
Les deux années suivantes, j’appris à développer une attention triptyque : une partie sur le cours, une partie sur les autres élèves, une partie pour mes pensées propres. Je remarquai alors un phénomène frappant : le temps en classe s’écoulait un peu moins lentement que lors de ma petite enfance. Je mettais cela sur le compte de la capacité que j’avais développée pour une attention plus que duale. Je n’avais pas tort, mais cela ne s’avérait pas toute l’affaire…
Jeune adulte et étudiant universitaire, enfin plus libre de mon temps, je constatai, clairement et indubitablement, que le temps s’écoulait un peu moins lentement que dans ma petite enfance.
Toutefois… Je n’étais plus convaincu, alors, que ce fût un avantage…
Par ailleurs, en parallèle, je relevais, navré, que l’effort d’attention intellectuelle que je devais prodiguer à mes études ne diminuait pas avec les années, malgré mon expérience croissante. Je ne comprenais pas pourquoi, à l’époque.
Avec le recul, je réalise que, jeune adulte, je me retrouvais avec un legs croissant de souvenirs, conscients ou non, et une mémoire qui s’alourdissait rapidement. Petit à petit, cette mémoire grandissante s’avérait envahissante au point d’en devenir handicapante, intellectuellement mais aussi psychiquement. J’avais de plus en plus de peine à me concentrer sans que l’un ou l’autre souvenir m’interpelle, de façon urgente et pressante – parfois ce n’était qu’une réminiscence… qui se révélait, à cause de son flou, encore plus envahissante qu’un souvenir !
En outre, à mesure que la mémoire, consciente ou inconsciente, se stratifiait… le temps s’écoulait de plus en plus vite. À partir de l’âge de trente-six ans, c’était net : il commençait à me filer entre les doigts.
J’optais alors pour une hypothèse, une loi de quasi proportionnalité entre le poids mnésique et la perception de l’écoulement du temps : chez un adulte de trente-six ans, le temps s’écoulerait environ six fois plus vite que chez un enfant de six ans. Aussi ces périodes de vide mental, où le temps semble se dérouler trop lentement, s’avèrent-elles de moins en moins fréquentes avec l’âge. L’ennui épais, perçu comme un écoulement temporel visqueux, est un sentiment fréquent chez l’enfant, alors qu’il s’avère pratiquement absent chez le vieillard… pour qui le temps semble plutôt fuir devant lui comme un vent léger mais constant.
Ces deux réalités psychologiques me semblaient inexorables et inéluctables dans leur déroulement.
Par un concours de circonstances, je me mis en devoir de découvrir, puis de pratiquer les vertus de la méditation bouddhiste. Il importait non seulement de calmer l’esprit, mais de rendre la mémoire moins envahissante, plus sélective. Pendant quelques années d’apprentissage laborieux, je m’employais ainsi à calmer un esprit plus sagace, certes, que dans son enfance, mais devenu suractif, par trop à gauche et à droite, et par trop chargé en mémoires et souvenirs. C’est le cetta vivace voire agité qui, comme l’enseignent les bouddhistes, gêne l’attention (sati), freine la concentration (samâdhi) et empêche l’état d’éveil (bodhi).
Péniblement, je finis par atteindre mon objectif général de méditation. Même si, le temps passant, les souvenirs continuaient à croître en nombre… j’avais du moins freiné leur croissance affolante en poids psychique.
Depuis, le temps continue de s’écouler très rapidement, mais l’accélération de son écoulement a diminué au point de cesser. Ainsi, ce phénomène propre à l’âge ne s’avère-t-il plus angoissant, mais accepté, presque tranquillement. Parallèlement à un acquiescement graduel à l’ordre des choses, si ma capacité d’attention pure continue gentiment de décliner… et si l’état d’éveil bouddhique s’éloigne à mesure que je crois m’en approcher – ma capacité de concentration mentale poursuit-elle lentement son progrès.
En particulier, ma capacité de lire ou d’entendre correctement tous les mots d’une phrase, puis de m’en souvenir dans leur agencement exact à la première lecture ou écoute, décline depuis l’âge de vingt-cinq ans ; en revanche, ma capacité à me concentrer sur l’ensemble de ces mots et sur leur contexte, à les agencer mentalement et à les garder à l’esprit rassemblés entre eux, sans me laisser distraire, continue de s’améliorer.
Il y a un peu plus de deux décennies, je ne rêvais même pas d’une telle évolution.
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Le bonheur et la sérénité, ou bien l’excitation et le plaisir ?
octobre 3rd, 2023In Pensées pour une saison – Printemps, #105.
Le bonheur et la sérénité, ou bien l’excitation et le plaisir ? Les deux ne vont pas bien ensemble, selon l’adage que l’on ne peut ménager à la fois la chèvre et le chou. C’est à l’aune de cette distinction essentielle que peut se définir, très concrètement, le bien, ainsi que sa mesure et son choix.
Les philosophes et les moralistes depuis longtemps se sont penchés sur le sujet. Suite à de nombreuses recherches scientifiques, on découvre qu’en définitive ce vieux problème existentiel et éthique se révèle enraciné dans la biochimie. En particulier, dans la fine régulation physiologique de trois neuro-transmetteurs différents, adrénaline, dopamine et sérotonine : chez un individu donné, ses circuits sérotoninergiques ont-ils, en général, priorité sur ses circuits dopaminergiques et adrénergiques ?
Si oui, alors il a une chance de pouvoir vivre le bonheur dans le bien ; pour autant qu’il apprenne aussi, bien entendu, à reconnaître les choses pour ce qu’elles sont réellement. Car pas de bien possible sans connaissance et raison préalables.
Par contre, si l’on préfère évoluer dans l’excitation et le plaisir, la connaissance et la raison ne s’avèrent pas indispensables.
Or connaissance et raison réclament des efforts. Pas étonnant, dans ces conditions, que la plupart choisissent la voie la plus facile et la plus immédiate : celle de la dopamine et de l’adrénaline.
Ce n’est pas entièrement simple, toutefois… Car la persévérance apparaît surtout gérée… par la dopamine – et la vigueur au combat… par l’adrénaline ! On ne peut donc pas adhérer exclusivement à un “ bon ” circuit de neuro-transmission [1] (le sérotoninergique), au détriment des deux autres (l’adrénergique et le dopaminergique)… pas plus qu’on ne doit succomber aux attraits des deux derniers, ainsi qu’aux tentations modernes qui les stimulent par trop dangereusement.
Il convient de prendre du recul… et de réaliser qu’il a fallu des centaines de millions d’années de bricolage évolutif [2], accumulant redondances et contradictions dans la complexité physiologique, pour aboutir au résultat biologique actuel. Il ne faut donc pas bousculer, à l’aveugle de surcroît, cet équilibre délicat.
[1] Cf. les textes nos 12, 95, 96 et 97 de Pensées pour une saison – Hiver : « Le bâillement de réveil – un cas d’évolution surprise », « Systèmes nerveux dans un organisme, développements parallèles », « Choc vagal, avantage évolutif inattendu », enfin « Le combat à mort du chat et celui des défenseurs français de Verdun ».
[2] Cf. les textes no 20 (« Ailes et plumes des origines ») et no 95 op. cit., et cf. supra le texte no 104, « Le réveil de formes trop anciennes ».
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Le réveil de formes trop anciennes
octobre 3rd, 2023In Pensées pour une saison – Printemps, #104.
Le développement d’un embryon, en ses phases successives, répète d’une façon assez générale les origines et l’évolution de la lignée de son espèce : l’ontogenèse récapitule la phylogenèse (du grec ôn, ontos, ‘ l’être, ou un être ’, phylon, ‘ race, tribu, (vieille) famille, lignée ’, et genos, ‘ naissance, origine, genèse ’).
Théophraste d’Erèse [371-287], successeur d’Aristote à la tête du Lycée d’Athènes et père de la botanique, l’avait pressenti en estimant que les sépales et les pétales des fleurs se développent à partir d’un modèle biologique pour une feuille. Vingt-et-un siècles plus tard, au cours de son voyage en Italie (1786-88), le génial Goethe [1749-1832] écrira son Essai d’explication de la métamorphose des plantes, dans lequel il systématisait le postulat de l’homologie sériée de structure entre les différents organes végétatifs et floraux des plantes à fleurs, à partir de structures plus primitives. Par la suite, les découvertes paléontologiques et la génétique moderne démontreront que la feuille est apparue au cours de l’évolution avant la fleur… et que le modèle ontogénique et structural de l’embryon d’une fleur est bien celui d’une feuille.
Au XIXe siècle, suite à la révolution darwinienne, ce concept fécond sera étendu à la zoologie, en particulier par Ernst Haeckel [1834-1919] : un embryon d’amphibien, dans une première phase, ressemble à un embryon de poisson ; un embryon humain, dans sa première phase, ressemble à un embryon de poisson, dans sa deuxième phase à un embryon d’amphibien. Depuis, les découvertes paléontologiques ont confirmé, dans l’ascendance de tous les vertébrés amniotes (reptiles, oiseaux et mammifères), l’existence d’ancêtres amphibiens, et avant cela, d’espèces de poissons primitifs.
Par naïveté ou par malice, on a fait dire à cette règle, dite de récapitulation, quelque chose de plutôt absurde : qu’elle récapitulerait les formes ancestrales… adultes. Il n’en est rien, bien entendu. Plus fondamentalement, comme la récapitulation se fait de façon souvent désordonnée, parfois même chaotique, d’aucuns ont estimé que cette règle… n’était pas réellement une règle biologique. C’est là une erreur essentielle, due au refus d’admettre que les mécanismes de la vie trouvent leur origine dans un long bricolage aveugle.
Pourtant, la récapitulation de la phylogenèse fournit justement, par son caractère chaotique, en ontologie comme en embryologie, une preuve supplémentaire que la vie est un grand bricolage automatisé [1]… affiné par des centaines de millions, voire des milliards d’années d’évolution.
Un grand bricolage, pas nécessairement le plus efficace ou le plus élégant, mais ordonné par la sélection naturelle dans le torrent des siècles – au cours du long, du très long écoulement du temps… Les outils cassés et les matériaux devenus superflus peuvent encombrer le sol de l’usine biologique, ils n’empêchent pas la fabrication automatique de continuer, vaille que vaille.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que des gènes très anciens, même devenus caducs et complètement inutiles, restent souvent inscrits dans le génome. Parfois, ils se réveillent, anormalement, de leur longue dormance… et se révèlent alors tellement dégénérés dans leur encodage, qui a dérivé sans aucun contrôle de qualité biologique, qu’ils en sont devenus tératogènes – sources de potentielles monstruosités (par exemple, chez un humain adulte, la réactivation, impromptue, de pseudogènes pour des branchies).
Sigmund Freud [1856-1939] le devinera : le phénomène biologique décrit ci-dessus se trouve également à l’œuvre en psychologie sociale, pour les formes d’interprétation communautaire du monde. Les plus primitives de celles-ci ne sont pas complètement remplacées par les nouvelles, en principe plus adéquates ou du moins plus efficaces.
Elles refont alors surface dans le corps social, continuellement, le plus souvent sous des formes gaspilleuses de ressources collectives mais peu agressives (magie blanche, astrologie, homéopathie, etc.). Parfois, par contre, le réveil est paroxysmique, extrêmement violent (le nazisme) et, forcément, aberrant, car il est fait appel à de très anciens concepts mythiques, périmés depuis la nuit des temps déjà… Et dont la réactivation, intempestive et impérieuse, ne peut se produire que sous une forme particulièrement monstrueuse.
[1] Cf. les textes nos 20 et 95 de Pensées pour une saison – Hiver : « Ailes et plumes des origines » et « Systèmes nerveux dans un organisme, développements parallèles », et cf. infra le texte no 105, « Le bonheur et la sérénité, ou bien l’excitation et le plaisir ? ».
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Les renégats de l’aventure multi-cellulaire
septembre 25th, 2023In Pensées pour une saison – Printemps, #92.
Les premières communautés cellulaires ne purent se constituer avant que ne se fussent développées, chez certains organismes mono-cellulaires, d’une part, quand le milieu s’avérait déjà bien peuplé de congénères, une inhibition à la réplication clonale (i.e. entière et exacte)… d’autre part une prédisposition au suicide cellulaire, ou apoptose. Car qui dit communauté durable, dit contrôle de population – particulièrement au début et à la fin de chaque durée normale d’existence individuelle.
Ainsi apparurent des populations mono-cellulaires présentant un potentiel de discipline biologique se révélant digne d’une ébauche d’organisme complexe. Que, suite à cette émergence, des organismes multi-cellulaires (de multiples cellules de même type collaborant étroitement), voire pluri-cellulaires (différents types de cellules coopérant entre elles), apparussent et se développassent… c’était inéluctable, dans le torrent des siècles.
Toutefois, ces potentiels d’auto-contrôle de la division cellulaire et de la durée de vie cellulaire se trouvaient, forcément, gérés par l’ensemble primitif de façon stochastique ou probabiliste… Par là, il s’avérait fatal, dans toute proto-communauté cellulaire, que certains de ses membres ne respectassent pas ces principes vitaux d’auto-limitation de la prolifération, et d’harmonieuse apoptose. Mécanisme d’abord probabiliste, l’évolution ne pouvait que laisser passer entre ses mailles, au cours des éons, de tels comportements égoïstes ou anarchiques…
Laisser passer… dans une certaine mesure, c’est-à-dire tant que ces comportements ne s’imposaient pas complètement à l’ensemble et n’empêchaient pas, malgré leur fardeau, les organismes de se reproduire – de se perpétuer en tant qu’espèces et, éventuellement, d’évoluer.
Des milliards d’années plus tard, les principes cellulaires de reproduction contrôlée et d’auto-contrôle apoptique se révèlent toujours mal respectés… Quand une cellule eucaryote devient cancéreuse, elle ne présente plus aucune inhibition de comportement biochimique et elle semble retournée à l’état de bactérie dans sa captation exclusive de ressources alimentaires ainsi que dans sa reproduction frénétique. D’où les trésors d’inventivité et de ressources biologiques que les organismes complexes modernes doivent déployer contre les renégats tentés par le “ moi-moi-moi ! ” d’une échappée cancéreuse, et l’étendue du contrôle qu’ils doivent exercer sur l’ensemble des cellules.
Les organismes de certains animaux à la longévité exceptionnelle (par exemple les rats-taupes nus du genre Heterocephalus et les souris-taupes du genre Spalax, qui vivent beaucoup plus longtemps que les autres rongeurs) savent réprimer de façon efficace toute émergence de cancer, ainsi qu’empêcher les métastases. Cette remarquable efficacité dans le contrôle cellulaire a permis à certaines de ces lignées animales d’aboutir à des formes géantes : la baleine bleue, les éléphants, les requins du Groenland. Les organismes de ces espèces peuvent contenir mille fois plus de cellules eucaryotes qu’un corps humain… ils présentent néanmoins une fréquence moindre d’apparition d’un cancer dangereux pour l’individu ! Leurs cellules saines sont donc mille fois plus efficaces pour supprimer les cellules devenues cancéreuses que ne le sont celles des humains, des chats et des chiens domestiques.
En termes évolutionnels, cela se comprend très bien pour ces trois dernières espèces, car la durée de vie moyenne de leurs individus a augmenté de façon importante à une époque relativement récente – cela se mesure en siècles seulement. Ils vivent plus vieux… mais atteints de cancer. Ces espèces n’ont pas disposé d’une durée évolutive suffisante pour développer des mécanismes anti-cancéreux efficaces.
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Les faits et leur présentation : approches
septembre 13th, 2023In Pensées pour une saison – Printemps, #61.
Le sage et le philosophe accordent autant d’importance à s’assurer de la solidité des faits… qu’à les penser et à les expliquer.
Par contraste, les ras-du-sol au mieux accumulent quelques données… mais ensuite ne savent qu’en faire. Alors, ils ont recours à une forme de magie qui, dans sa version moderne, s’appelait statistique descriptive… et qui, dans sa forme post-moderne, s’appelle “ représentation graphique ”.
Les raconteurs d’histoires, eux, ne s’attachent qu’à quelques éléments, soigneusement sélectionnés, qu’ils adaptent à leur besoin : leur “ vision ” passe avant tout, envers et contre tout – parfois (rarement) c’est joli…
Quant aux grands menteurs, ils trompent tout le temps, tant sur les soi-disant faits exposés que dans leurs explications : chacun de leurs mots, chaque mouvement de leur corps se révèle un mensonge – et ce n’est jamais joli.
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La vérité en tant que procédé particulier
septembre 13th, 2023In Pensées pour une saison – Printemps, #60.
Les avancées fulgurantes de la science, ainsi que l’effondrement des légitimités religieuses, puis les innombrables dangers et nuisances liés aux nouvelles technologies, ont fait naître un discours dépréciateur de la notion même de vérité : les anciennes vérités n’ont plus cours, les nouvelles ont permis des découvertes et des réalisations dangereuses… donc la vérité s’avère inutile voire nuisible. On jette ainsi le bébé avec l’eau du bain.
Cette attitude, disons désinvolte, relève de la paresse morale et intellectuelle. Ses adeptes, en définitive partisans du n’importe quoi, ne voient pas que la vérité et l’instinct de vérité [1] résident dans un procédé particulier… pas nécessairement dans un énoncé particulier. La vérité n’est pas simplement un préjugé tenace. Elle s’avère une approche de recherche rigoureuse et efficace (la science), ou bien une intuition [2] profonde, pertinente et élévatrice (la méditation [3], la poésie [4])… qui permettent de percevoir pleinement une réalité, et de la qualifier part de vérité.
[1] Cf. supra le texte no 24, « Le rare instinct de la vérité ».
[2] Cf. supra le texte no 55, « Intuition ».
[3] Cf. « L’abîme et la fourmi », texte no 78 de Pensées pour une saison – Hiver.
[4] Cf. « Le poème comme épiphanie », texte no 22 de Pensées pour une saison – Hiver.
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Un couple de forces
septembre 10th, 2023In Pensées pour une saison – Printemps, #52.
La vie se révèle l’expression brouillonne, mais diablement tenace, d’un couple de forces antagonistes : le hasard, soit la contingence, et l’anti-hasard, soit la nécessité.
Depuis des milliards d’années elle est sans cesse en émergence, avec une structure cellulaire de base définie… mais dans une variété de formes surprenante suite à la duplication, répétée aussi exactement que possible, de réplicateurs porteurs d’instructions et soumis, dans un chaos incessant, à des petites modifications aléatoires. Toutes ces formes, les anciennes comme les nouvelles, se trouvent continuellement sous le tamis de la sélection naturelle. Un tamiseur qui souvent se comporte en broyeur. Ce qui ne peut pas durer… ne durera pas. Ce qui pourrait durer… durera peut-être.
Sur cette planète, la forme chimique générale des réplicateurs, qui s’est imposée aux origines de la vie, est l’ADN, l’acide désoxyribonucléique. Un nom à la consonance étrange et alambiquée, convenant parfaitement au mystère obscur, complexe et touffu qu’il recouvre.
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La dite irrationalité des acteurs économiques
septembre 3rd, 2023In Pensées pour une saison – Printemps, #27.
On peut beaucoup apprendre sur les réalités de l’esprit humain en réfléchissant sur des expériences de psychologie. En voici une, assez simple, qui s’avère particulièrement instructive.
On met en présence deux joueurs : bien qu’interagissant selon des règles bien définies, les rendant dépendants l’un de l’autre, ils n’échangent pas à proprement parler. Au hasard d’une roulette, l’un d’eux reçoit une somme d’argent, dont le partenaire est informé du montant. La règle prévoit que le bénéficiaire partage la manne, en principe moitié-moitié, avec son vis-à-vis – mais cette règle n’est pas obligatoire, son application est soumise, pour cette occasion, à un accord ad hoc entre les deux joueurs. S’ils ne s’entendent pas sur cette distribution, aucun d’eux n’est récompensé… et le jeu s’arrête là. Dans le cas contraire, la roulette continue de tourner, selon la même règle générale, pour chaque nouvelle distribution, de partage équitable par le gagnant du moment.
Parfois, un joueur ayant gagné le gros lot décide de conserver pour lui plus que la moitié de la somme gagnée, espérant que son partenaire de jeu voudra bien accepter une plus petite partie que prévue d’une grosse somme d’argent… plutôt que rien du tout. Une telle acceptation dénoterait, de la part de ce dernier, une attitude rationnelle, la proposition de partage inéquitable de son partenaire étant elle aussi considérée comme rationnelle… à ce stade.
Eh bien, non. La majorité des gens préfèrent ne rien recevoir du tout plutôt que de permettre au mauvais partenaire d’empocher plus qu’il n’était prévu initialement. Et quelques uns des gagnants du gros lot préfèrent ne rien empocher du tout plutôt que de partager équitablement, comme prévu pourtant !
Analysons la situation sur le plan psychologique. Que le partenaire avide persiste dans sa démarche et, plutôt que de partager comme prévu, préfère en définitive tout perdre, s’avère manifestement déraisonnable et irrationnel. Il y a là comme un relent de : cette grosse proie nous l’avons certes chassée ensemble, mais c’est moi qui l’ai tuée donc je mange plus de la moitié ! La dispute persistant jusqu’à ce que les hyènes se pointent en nombre et confisquent le tout.
Pour ce qui concerne le partenaire fâché, parce que s’estimant floué, c’est plus subtil… Les humains le plus souvent ne se comportent pas en froids calculateurs. Ils partagent cette dite “ irrationalité ” avec, entre autres animaux, les petits singes capucins (du genre Cebus). Ces derniers, quoique très aimables, se mettent en colère lorsqu’ils se sentent lésés – les humains aussi ! L’estimation rationnelle du gain, censément régie par des règles de calcul d’espérance, se trouve ainsi en concurrence psychologique avec un autre sentiment parfaitement raisonnable et rationnel : refuser d’être le dindon de la farce. Apprécier à l’aune de la raison le comportement de refus en question se révèle donc une tâche délicate.
Cela n’empêche pas nombre de psychologues et d’économistes de la tradition anglo-saxonne, dans ce cas également, de trancher ; on cite : “ encore un signe d’irrationalité de comportement ”…
Comme on vient de le voir, c’est un peu court.
Une telle expérience de psychologie se révèle l’occasion de prendre du recul et de faire un tour du côté des théories économiques. Les économistes se qualifiant de “ libéraux ” ont toujours jeté l’opprobre sur les acteurs économiques “ insuffisamment rationnels ”… le deuxième acteur du jeu en question, “ le fâché ”, se trouvant plus particulièrement dénoncé par eux – le premier, l’avide, bénéficiant généralement de leur bénédiction idéologique. Ce qui rencontrait leur dédain moral, ils le dédaignaient intellectuellement aussi : leurs modélisations faisaient l’impasse sur l’existence de “ l’irrationalité ”, telle qu’eux-mêmes la définissaient pourtant. L’irrationalité en question ne s’en montrait pas pour autant moins prévalente dans les comportements humains. Résultat : on ne pouvait absolument pas compter sur le dit “ modèle économique du comportement rationnel ” autrement que pour des travaux strictement académiques… qui permettaient, chaque année depuis 1969, l’attribution d’un “ prix Nobel ” d’économie.
Les acteurs économiques dominants ne sont toutefois pas complètement idiots… Ils ont compris qu’il leur fallait s’arranger pour continuer de tricher… sans que les nouveaux pigeons ne remarquent leur avidité et ne s’en offusquent. Que les capucins n’y comprennent plus assez pour se rebiffer. Alors, depuis quelques décennies, ils ont encouragé et financé l’élaboration d’un “ nouveau ” modèle économique, post-libéral, post-moderne… toujours nobélisable. Avec une terminologie digne de juristes et des complications ad hoc engendrant une confusion commode… il consiste principalement à travestir la réalité. L’ancien modèle se contentait de ne pas y correspondre.
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L’intuition du hasard
septembre 3rd, 2023In Pensées pour une saison – Printemps, #25.
L’être humain naît mentalement pré-formaté à une vision essentialiste (toute chose a une essence avant même d’exister), qu’elle soit spiritualiste ou animiste, de lui-même comme de son environnement. Avec son corollaire : lorsqu’il n’est encore qu’un petit d’homme, il ne peut rien concevoir en termes de coïncidences. Car tous ses traitements mentaux, qu’il exerce depuis sa pénible naissance avec acharnement, ainsi qu’avec talent si l’on considère les difficultés inhérentes aux circonstances, ont pour but de discerner la nécessité des choses.
C’est une question de survie. Il lui faut, impérativement, se structurer en structurant. Ainsi, pour lui, tout ce qui est… doit être, ne peut pas ne pas être. La contingence des choses, l’aspect fortuit, accidentel de celles-ci, lui échappe totalement : rien de ce qu’il perçoit peut ne pas être… donc rien ne peut arriver par hasard.
Bien plus tardivement au cours de sa vie, il réalisera que la contingence se conjugue à la nécessité pour former, ensemble, un couple de forces organisateur de l’univers. Une telle réalisation mentale et cognitive, ardue, complexe, ne peut survenir qu’à un âge plus avancé. Elle se révèle rare, par ailleurs.
Parmi les adultes qui n’ont pas procédé à cette démarche, il est des cas particulièrement intéressants sur le plan psychologique : ils reconnaissent que leur perception intellectuelle et existentielle, celle qui date de leur petite enfance, ne convient plus… mais ils le supportent mal et adoptent des faux-fuyants plus ou moins élaborés.
Certains d’entre eux, sophistiqués, évoqueront bien le hasard… mais comme une simple extension de la nécessité, ce qui revient, en définitive, à lui nier toute existence propre, donc réelle.
Ainsi Anatole France, en 1894 : « Il faut, dans la vie, faire la part du hasard. Le hasard, en définitive, c’est Dieu. » (Le Jardin d’Épicure, #55). C’est un aphorisme séduisant, mais il aurait tout aussi bien pu être formulé dans l’autre sens : Il faut, dans la vie, faire la part de Dieu. Dieu, en définitive, c’est le hasard. En fait, un tel énoncé inverse de l’original serait plus vraisemblable, puisqu’on peut imaginer le hasard existant avant Dieu ou l’univers… et que le Grand Démiurge s’avère une construction, très ad hoc et très post hoc, d’un esprit humain dépassé !
D’autres, encore plus sophistiqués, à l’instar du réalisateur français Chris Marker, diront : « Le hasard a des intuitions qu’il ne faut pas prendre pour des coïncidences. » C’est à nouveau un aphorisme séduisant mais, comme pour le premier, il faut rester circonspect, car il se révèle pénétré d’idéalisme, au sens philosophique. Par ailleurs le hasard y prend toujours une allure personnifiée, même si c’est moins affirmé ici… le démiurge se révélant un peu plus hésitant, ou plus délicat, que dans un discours monothéiste. Là encore, comme dans le premier aphorisme, le hasard, en définitive, est nié.
Ce n’est vraiment pas évident pour les humains, dont la plupart sont nés platoniciens, de quitter leur caverne. D’aller au-delà de celle-ci… Plutôt que d’y rester indéfiniment, à rêver d’au-delà.
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Le rare instinct de la vérité
septembre 2nd, 2023In Pensées pour une saison – Printemps, #24.
On peut croire, très raisonnablement, que l’observation des faits vient avant la théorie – avant leur explication donc. En réalité, on ne peut pas observer correctement sans vision juste d’abord… car rien ne s’avère discernable sans un bon canevas mental.
C’est subtil… et c’est pourquoi seuls quelques-uns ont l’instinct de la vérité.
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La Vérité contre l’établissement des faits
septembre 1st, 2023In Pensées pour une saison – Printemps, #20.
Entre les philosophes antiques et les idéologues chrétiens, il y avait une différence d’approche essentielle. Les premiers, même les idéalistes et les platonistes parmi eux, distinguaient les opinions des faits qu’on se devait d’établir avec discernement et esprit critique… Alors que, pour les seconds, il n’y avait que “ La Vérité ”, unique, avec deux majuscules, à laquelle on devait se soumettre totalement et sans la moindre réserve.
Au XVe siècle, au cours de la Première Renaissance, à nouveau au XVIIIe siècle, Siècle des Lumières, on revint à la distinction entre les faits et les opinions. Malgré les délires du romantisme, le XIXe siècle y resta dans l’ensemble attaché. Depuis, cette distinction a de nouveau été mise à mal, par le communisme et par le fascisme d’abord, puis par l’américanisme triomphant.
Résultat, à la fin du XXe siècle cette distinction classique avait disparu des mass media, en même temps que s’était éteint le journalisme d’investigation. Elle tendait aussi à disparaître des revues scientifiques, particulièrement des revues anglo-saxonnes : les déclarations programmatiques, ainsi que d’adhésion à une vérité prédéfinie, avaient pris le pas sur l’établissement des faits et de la vérité tout court.
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Détails et distance
août 27th, 2023In Pensées pour une saison – Printemps, #05.
On découvre, on appréhende, on comprend par une multitude de détails s’emboîtant les uns dans les autres – ou s’excluant mutuellement, ce qui donne matière supplémentaire à réflexion… Ensuite, on prend du recul, plusieurs fois, pour des vues d’ensemble. On a l’esprit de suite, mais on peut sortir du cadre si nécessaire. Et on recommence tout le processus.
L’intelligence des choses naît ainsi, dans cette double démarche sans cesse répétée, dialectique en définitive : thèse-antithèse, puis synthèse.
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Le poisson et l’oiseau
août 27th, 2023In Pensées pour une saison – Printemps, #04.
Le poisson de surface se trouve tout étonné, quand il entend ce que l’oiseau plongeur dit… à propos de l’eau.
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Le dé jeté dans le vent
août 26th, 2023In Pensées pour une saison – Printemps, #03.
Un observateur attentif de ce qui est, y compris de son propre esprit, finit, si la lucidité l’emporte, par réaliser que rien de naturel dans le monde ne peut, en définitive, être démonté et compris pareillement à un mécano. Car tout, y compris donc l’univers, existe sans cause ultime, sans raison fondamentale… et se révèle plutôt indéfinissable.
Le tout, soit le cosmos lui-même, est mouvant et sans cesse en renouvellement… par là, vraisemblablement unique, non prévisible et non reproductible. Si racines il y a, elles s’avèrent celles du fortuit et de la contingence !
À l’instar d’Héraclite d’Éphèse, on peut méditer sur l’innocence du dé, dans la poussière… et sur l’innocence de celui qui le jette dans le vent.
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Le hasard, nécessaire à tout démiurge
août 16th, 2023In Pensées pour une saison – Hiver, #87.
Un observateur lucide du monde vivant doit constater que, si celui-ci forme un mécanisme singulièrement complexe, parfois prodigieux, il s’avère, par ailleurs, souvent détraqué, ou étrangement mal adapté.
Aussi, n’en déplaise aux croyants, les merveilles de ce monde ne prouvent en rien l’existence d’une intelligence créatrice. Il y a le reste, qu’il faut aussi mentionner…
De plus, un mécanisme, même extrêmement sophistiqué, peut parfaitement apparaître de façon naturelle au cours du temps, par complexification spontanée du simple. C’est d’ailleurs un processus qui n’a pas plus de raisons de se faire… que de ne pas se faire. Si l’on éprouve le sentiment que ceci, ou cela, devait nécessairement se faire, c’est simplement… parce que l’on se trouve à l’intérieur du mécanisme. C’est un biais de perception.
Quant à tenter, par la pensée et le calcul, par inférences successives, de remonter le passé, pour reconstituer l’histoire de cette complexification, afin d’éventuellement découvrir “ l’acte créateur ”… il y a un moment, au cours de ce processus de reconstruction cognitive, où l’on ne peut rien déterminer de précis, chaque option possible, à chaque bifurcation en arrière du scénario évolutif, se trouvant à peu près aussi vraisemblable que l’option contraire. Ainsi, en l’absence de données paléontologiques suffisantes, l’éventail des possibles va tellement en s’élargissant, à chaque étape d’une reconstitution descendant toujours plus profondément dans les strates des éons du temps, qu’inévitablement on s’enlise, à un certain moment : on n’a plus rien sous la main, et plus rien à voir.
Cela étant, pour en revenir aux cafouillages, innombrables, du monde vivant : n’en déplaise aux athées, ils ne prouvent, en rien, l’inexistence passée, ou présente (“ Dieu est mort ”), d’un créateur, disons intelligent, de ce monde. En effet, tout créateur du monde, vu l’étendue et la durée de son action, ne pourrait qu’avoir bafouillé et cafouillé dans son œuvre… d’autant que la possibilité même de ces ratages s’avère une condition préalable à tout processus de création. Plus fondamentalement, si dieu omnipotent il y eut, et en admettant qu’il fût adroit généralement, il fallut bien qu’il créât le hasard, pour se donner une chance… d’être créatif !
Les cafouillages et le hasard n’excluent donc pas l’existence d’un ou de plusieurs démiurges, quasi omnipotents, à l’origine du temps – pour autant que cette dernière notion ait un sens. Quant à leurs intentions…
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Des recommandations avant toute chose
août 15th, 2023In Pensées pour une saison – Hiver, #85.
2018.08.10 – Un article grand public annonce des problèmes cardiaques pour ceux qui dorment dix heures ou plus. Évidemment, cela reste flou dans l’énoncé… et on subodore que le journaliste a compris de travers.
Vérification : l’article épidémiologique évoque bien, comme on pouvait s’en douter, une simple corrélation… et aucune relation de cause à effet ne peut être établie dans le cadre de l’étude.
Toutefois, cela n’empêche pas les auteurs, dans leur conclusion, de procéder à des recommandations… en particulier de ne pas dormir plus de huit heures ! Pourtant, on peut soupçonner que les grands dormeurs se protègent, sur le plan cardiaque, par leurs longs sommeils…
Une relation de cause à effet a été inventée – et elle est définie dans le moins vraisemblable des deux sens possibles ! Mais bien dans le sens voulu par l’air du temps.
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Deux approches différentes de la conscience
août 3rd, 2023In Pensées pour une saison – Hiver, #47.
Les platoniciens, qu’ils soient idéalistes ou spiritualistes, ont une analogie moderne pour résumer le problème de la conscience : la voix émanant d’une radio n’a pas son origine à l’intérieur de celle-ci ; de même, selon eux, l’esprit ou la conscience se manifestant à partir d’un corps humain ont leur origine “ ailleurs ”.
C’est une position qui semble raisonnable, a priori… sauf qu’elle se révèle un oreiller de paresse. Cette origine “ ailleurs ”, qu’ils invoquent ainsi, s’avère un au-delà physiquement inaccessible ; par là, aucun examen des ombres passant sur le mur de la caverne ne présente la moindre utilité, en définitive. Autre corollaire de leur position : on peut, par contre, se fier à certains “ clairvoyants ”, qui se trouvent capables de “ communiquer ” avec l’au-delà et ses esprits. Dans les deux hypothèses, l’intelligence se prouve inutile.
Pour ma part, je préfère l’approche plus matérielle des héritiers spirituels de Démocrite et d’Aristote, qui étudient l’objet radio en le démontant, réfléchissent sur les phénomènes électro-magnétiques, et analysent les sons émis par La Voix du Maître, cherchant à déterminer s’il y a un message… ou, simplement, si l’on peut vraiment donner un sens à tout cela.
On ne trouve pas forcément beaucoup plus de cette façon, mais c’est une question de goût personnel. Qui s’est confirmé avec l’âge, en ce qui me concerne.
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Le cadeau de la chatte
août 3rd, 2023In Pensées pour une saison – Hiver, #46.
Chatoune est franche, simple, sincère et pure dans tout ce qu’elle fait. Petite chatte grise et vive, elle revenait souvent de ses explorations fructueuses sur notre grand terrain à Kangaroo Island en émettant une série de miaulements brefs typiques, à l’intonation urgente et à la signification claire : « Venez, venez vite les enfants ! »
Nous sortions et elle déposait à nos pieds une petite souris en offrande, le plus souvent parfaitement vivante, quoiqu’étourdie. Alors, d’une main j’escamotais le somptueux cadeau, que je cachais dans mon poing, de l’autre je la félicitais et la cajolais, elle ronronnait, me regardait intensément dans les yeux. Je faisais miam-miam de la bouche, d’un air gourmet ; suite à quoi, elle se roulait de bonheur dans la poussière, ronronnait encore plus fort, se levait vivement, me mettait une patte douce sur le visage, puis me léchait longuement le front en me tenant de ses deux pattes avant. Enfin, tout heureuse, elle retournait à la chasse.
Cet échange, c’était un grand bonheur. Quand elle était repartie, je relâchais la petite proie, éberluée, dans un buisson tranquille, plus loin.
Amitiés, luttes, habileté, survie, férocité, courage, gentillesse, bienveillance, complexité, impermanence, c’est tout ça, la roue du Dharma, la loi vivante du cosmos, que si peu savent ou veulent accepter.
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L’amitié spontanée de certains animaux pour les hommes
juillet 27th, 2023In Pensées pour une saison – Hiver, #25.
Konrad Lorenz [1903-1989], grand maître en éthologie, avait intitulé en 1950 un de ses livres : So kam der Mensch auf den Hund (‘ Ainsi vint l’homme au chien ’ – traduction française 1970 : Tous les chiens, tous les chats). Il s’agissait d’une série d’études et de réflexions, émouvantes et très intéressantes, sur la domestication des chiens et des chats. À la fin de son introduction, le sage autrichien faisait signe à ses lecteurs : « À tous ceux qui sont capables d’aimer et de comprendre tous les chiens, tous les chats, ce petit livre est dédié. »
On peut estimer que Lorenz aurait dû titrer son ouvrage : So kam der Hund auf den Mensch. Ce sont des canidés de la préhistoire qui sont venus à l’homme… et pas l’homme à ceux-ci. D’ailleurs, de façon générale, outre des canidés (même le jeune loup isolé !), beaucoup de jeunes animaux sauvages, des équidés, des bovidés (même le bison !), des félidés (même le puma !), s’attachent étrangement à l’homme rencontré dans la nature, et le suivent facilement. Cette forme bipède, inhabituelle, semble exciter leur intérêt autant qu’éveiller leur bienveillance, au détriment de toute prudence.
La domestication de tant d’animaux a ainsi pu se faire à cause d’une inadéquation entre l’instinct de précaution devant l’inconnu, et la curiosité naturelle des jeunes mammifères, cette curiosité s’avérant indispensable à leur développement mental. Homo, bien plus rusé et opportuniste que sage, a su profiter de ce hiatus comportemental, à son avantage. Le plus souvent, hélas, pour le plus grand malheur des animaux domestiqués et celui de leurs futurs rejetons.
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Langage humain inadapté… à décrire l’évolution naturelle
juillet 25th, 2023In Pensées pour une saison – Hiver, #21.
Il convient d’attirer l’attention sur l’inadéquation totale entre le langage humain et les phénomènes évolutifs. Si l’on ne se montre pas extrêmement attentif à cette inadéquation, il s’avère très facile, très naturel… de dire des choses qui n’ont aucune réalité.
L’exemple suivant illustrera le propos. On aime à visualiser sa propre vie comme une succession de décisions… alors que, le plus souvent, cela s’est fait – c’est tout. Aussi la notion de “ décision ” est-elle souvent illusoire, quand il s’agit de la trajectoire de vie d’une personne ; en matière d’évolution naturelle, elle s’avère carrément absurde. Pourtant, nombre de biologistes y succombent, lorsqu’ils présentent “ la Vie sur la Terre ” comme une sorte d’organisme géant, qui aurait comme pris des décisions de “ sélection ”… alors que telle ou telle bifurcation évolutive s’est faite – c’est tout. La sélection naturelle s’avérant un processus passif, aveugle et négatif : ce qui ne peut pas durer… ne dure pas.
Ce qui pourrait durer… durera – peut-être.
Sans doute le langage lui-même, avec l’usage d’un sujet verbal et du mode actif dans la conjugaison, joue-t-il un rôle décisif dans cette méprise généralisée. Le vocabulaire établi n’aidant pas, par ailleurs…
Ainsi, même Darwin [1809-1882], le lent, le prudent, le consciencieux Darwin, s’est-il retrouvé piégé par le langage humain. Il avait bien raison, quand il regrettait, sur le tard de sa vie, d’avoir appelé sa magnifique théorie : “ sélection naturelle ” (“ natural selection ”), plutôt que conservation naturelle (“ natural preservation ”). Dommage, car l’aspect moins personnel et moins actif du mot “ preservation ” aurait effectivement mieux convenu à sa propre description de l’évolution. Et que de phantasmes et de malentendus eussent ainsi été évités, de la part de ceux qui le lisaient mal, malgré toutes ses précautions d’écriture !
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Reconnaître une rose
juillet 23rd, 2023In Pensées pour une saison – Hiver, #17.
“ Je sais ce qu’est une rose ! – Ah oui ? La décrirais-tu ? – Eh bien, cela fait de jolies fleurs, ça sent bon et ça a des épines. – Mais des centaines de plantes correspondent à cette description… ”
L’interlocuteur, qui n’est pas botaniste, même un tout petit peu, s’avère incapable d’en dire plus sur le sujet, car il ne possède pas les catégories mentales ad hoc. Cela étant, on lui présenterait une autre plante, correspondant à sa description imprécise, il pourrait affirmer, sans commettre d’erreur : “ Ah, mais ça ce n’est pas une rose ! ” Il ne connaît pas, néanmoins il sait reconnaître.
Sur le plan cognitif, on voit bien que l’on est en présence de deux processus mentaux distincts. Il est toutefois rare que l’on réalise concrètement cette différence, et l’on croit volontiers que connaître, c’est être capable de mettre un nom sur quelque chose. En réalité, cela n’est pas vraiment connaître, mais reconnaître, une première étape indispensable dans la connaissance. Curieux, tout de même… car reconnaître, cela devrait signifier : re-connaître.
Encore une situation où le langage trompe allègrement, car enfin, en toute logique, connaissance devrait précéder re-connaissance, et cette dernière ne devrait pas être inférieure en contenu explicite à la première ! Comme quoi les mécanismes cognitifs se déroulent inconsciemment pour l’essentiel. De ce fait, si l’on s’avère peu conscient… de ces mécanismes inconscients… on se prend volontiers, à l’instar de M. Jourdain, pour plus savant que l’on ne l’est.
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La grande clairière dans la forêt
juillet 21st, 2023In Pensées pour une saison – Hiver, #14.
Les plus beaux moments dans la vie d’un chercheur, voyageur tenace jamais au repos, sont ceux-là où une large zone de dégagement et une belle perspective s’offrent enfin à lui, alors qu’il errait peu avant dans les éboulis tristes et sans vie de vallées rocheuses, ou dans la végétation touffue et oppressante de forêts sombres et denses.
À moins que l’on ne s’avère un illuminé, par avance certain de son idée et de son fait, une première phase d’approche se déroule toujours dans la plus grande confusion. Troncs, lianes et feuillages bouchent la vue de partout. Mais on travaille, on apprend à bien manier ses outils, on s’oriente, on défriche son chemin, on avance… et soudain une grande clairière se dévoile ! Exaltation ! Voilà, grâce à tous ces efforts, le centre du monde a été découvert, l’univers est enfin compris !
La plupart s’arrêtent à ce stade, car il s’avère fort agréable et bien sécurisant. Une toute petite minorité de courageux décide d’approfondir… ils s’enfoncent à nouveau dans la forêt. Et alors… une deuxième clairière. Encore une… Encore une ! Il n’y a pas de centre du monde…
Toute exploration, toute enquête s’avère ainsi fatale aux certitudes. D’une façon générale, ceux qui savent, qui savent vraiment… sont ceux-là qui sont arrivés au stade où l’on réalise ne discerner qu’une petite partie de la réalité. Que l’inconnu reste beaucoup plus vaste que tout ce que l’on a pu apprendre jusqu’ici. Et même, beaucoup plus vaste que tout ce que l’on peut encore imaginer…
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Système vivant n’est pas machine
juillet 21st, 2023In Pensées pour une saison – Hiver, #11.
Descartes [1596-1650] était fier d’avoir imaginé l’animal comme une machine ; l’homme, toutefois, subsistant, dans son esprit de philosophe idéalisant des catégories néo-platoniciennes, comme une âme incorporée [1].
L’auteur était intelligent et rédigeait bien, mais ne connaissait ni les âmes, ni les machines, ni les animaux… Nonobstant, son analogie satisfit pleinement les chrétiens en mal de renouvellement doctrinal, ainsi que les vivisecteurs de tous genres qui s’empressèrent de saisir un blanc-seing leur permettant de pratiquer… l’âme tranquille.
Quelques siècles plus tard, ils demeurent nombreux, ceux qui pensent : “ Moi, j’ai une âme ”… pour ensuite traiter les animaux comme des machines. Sauf, peut-être, leur favori (le “ pet animal ” des anglo-saxons), qui, lui, est différent…
L’attachement mental à la notion d’âme répond à des besoins psychiques très primitifs. À première vue, l’analogie cartésienne, entre machine et être vivant, peut sembler plus raisonnable, par sa formulation d’allure plus moderne. Pourtant, il devrait sauter à l’œil, même du plus myope, que c’est encore un non-sens.
Un organe, un organisme, doivent fonctionner, activement, une bonne moitié de leur temps, rien que pour conserver leur intégrité et rester opérationnels. Ce faisant, ils ne s’usent pas, au contraire ils se maintiennent, voire se développent. Le cœur doit travailler sans cesse… pour ne pas se scléroser à ne rien faire ! Tandis qu’une machine, si l’on procède de même avec elle, on ne fait que l’user : certes, elle doit être utilisée un peu, régulièrement, afin de la faire mieux durer, mais, généralement, pas plus de la moitié du temps !
Cette simple observation de bon sens s’avère profonde, car elle permet de pressentir une des différences fondamentales entre une machine et un système vivant : outre sa plasticité structurelle, absente de la machine, une caractéristique essentielle du second est qu’il se nourrit en métabolisant, ce qui lui permet de générer l’énergie biochimique nécessaire à son fonctionnement, mais aussi de renouveler, sans cesse, les molécules de ses cellules biologiques. Ce n’est pas le cas de la machine : l’essence ou l’électricité qu’on lui fournit ne sont que des sources d’énergie, elles ne se trouvent pas intégrées dans sa matière même.
[1] Cf. « Dérive antipodale des mots : cartésien », texte no 111 de Pensées pour une saison – Printemps.
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Où commence la vie, exactement ?…
juillet 20th, 2023In Pensées pour une saison – Hiver, #10.
Lorsqu’on étudie de près les manifestations de la vie, de très près, en ayant recours à la solide méthode réductionniste, consistant à étudier le tout par ses parties, il est un moment de l’investigation où l’objet vivant paraît un ensemble d’objets inanimés – et on ne peut définir avec précision où et quand cette transition a eu lieu… La vie semble s’en être écoulée, comme une eau que l’on aurait vainement tenté de retenir entre ses doigts, dans le noir.
De fait, il est judicieux de savoir jusqu’à quel niveau on peut pratiquer un réductionnisme de bon aloi. Car il y a différents niveaux d’organisation et de complexité du réel, et pour chacun il faut utiliser des outils matériels et intellectuels adaptés. Il est vain de démonter entièrement une montre pour comprendre son fonctionnement si l’on n’a pas la moindre notion de mécanique. Il est vain (et obscène) de disséquer un animal si l’on n’a pas la moindre notion d’anatomie, de physiologie, de biochimie, voire d’écologie.
Ainsi, même de bonnes connaissances, si elles se trouvent limitées à la physique-chimie, ne permettront pas de retirer la moindre information valable de cette dissection. Car un système vivant s’avère bien plus qu’une agrégation d’atomes ou de molécules, aussi complexe et organisée soit-elle, et aussi sophistiqué que soit le modèle descriptif. Une biologie sans biochimie est largement illusoire, mais la biologie n’est pas que de la biochimie… car il y a dans la vie une particularité irréductible à la chimie.
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La démarche réductionniste et ses différents seuils
juillet 20th, 2023In Pensées pour une saison – Hiver, #09.
La démarche réductionniste, consistant à étudier le tout par ses parties et les liens entre celles-ci, offre une garantie de rigueur intellectuelle et se révèle une approche efficace de la réalité. Mais il ne faut pas perdre de vue que la reductio ad absurdum – la réduction à l’absurde – guette l’imprudent se laissant glisser sur la pente de la reductio ad infinitum – la réduction à l’infini…
Il y a plusieurs niveaux de réalité, correspondant à différents plans d’organisation et de complexité. On ne peut appliquer la démarche réductionniste en-deçà d’un certain seuil, défini par l’approche matérielle et l’outil intellectuel que l’on utilise.
Ainsi, il y a un seuil subparticulaire où règne la mécanique quantique. Un seuil atomique, celui de la physique nucléaire. Un seuil moléculaire, celui de la chimie. Un seuil macro-moléculaire, celui de la biochimie entre autres. Un seuil cellulaire, celui de la biologie cellulaire. Un seuil pluri-cellulaire. Un autre lié à l’espèce vivante. Un seuil écologique. Des seuils divers d’intelligence et de conscience. Un seuil planétaire. Un seuil stellaire. Un seuil galactique. Et même, un seuil cosmique.
À chaque changement de seuil, un saut qualitatif s’opère, le tout n’est plus entièrement discernable par ses éléments constitutifs. Ainsi, on ne peut aborder la biologie cellulaire sans biochimie, mais on ne peut l’appréhender entièrement en se cantonnant à cette dernière. La réalité des choses s’exprime en des dimensions très différentes, et il convient de se souvenir que, souvent, le tout s’avère plus que la somme des parties.
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