De la psychiatrisation du besoin de plaire

août 9th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #72.

Dans les tribunaux, il est des affaires très classiques, où l’on instruit contre des prévenus ayant manqué de jugeote, par leur communication d’informations confidentielles à une personne à qui ils souhaitaient, indûment, complaire. De tous temps, ces cas ont existé, en grand nombre. Généralement, les juges ne se montrent pas tendres à l’égard des coupables d’indiscrétions de ce genre, l’absence de vénalité ne trouvant guère grâce à leurs yeux.

Toutefois, depuis quelques années, des avocats américains, alliés à des psychologues et des psychiatres, tous attentifs à voir s’élargir leur terrain d’action et à diversifier leurs sources de revenus, ont introduit une notion bien latérale : leurs clients sont en fait de pauvres malades, car ils souffrent d’une compulsion à plaire. Ils méritent donc des circonstances atténuantes, comme tout malade. Cette nouvelle conception, psychiatrisée, d’un délit ancien, s’est imposée avec la globalisation, autrement dit, avec l’américanisation.

Ainsi, sournoisement, le monde post-moderne est-il en train de faire du besoin de plaire une forme de déficience mentale, alors que c’est le fondement même de la plupart des sociétés de mammifères. Par la même occasion, cet autre pilier de soutien qu’est la modération de ce besoin, grâce à une bonne capacité de jugement, disparaît : hors sujet.

Résultat : en une seule et même opération de victimisation, sont mises à mal deux des bases psychologiques de la société, soit le besoin, naturel et nécessaire, de plaire, et la tempérance de celui-ci par un bon discernement !

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De la désapprobation à l’offense personnelle

août 9th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #71.

Il est des gens, pénibles, qui s’offensent, haut et fort, pour des propos qui ne les concernent pourtant pas directement. Toute idée, toute parole, toute démarche de vie qu’ils désapprouvent, ou qui ne leur plaît pas, devient, chez eux, motif personnel de fâcherie… même quand cela ne les implique nullement. Le monde entier semble perçu par eux comme une extension d’eux-mêmes.

Pour aboutir à un égocentrisme de ce genre, à la limite du solipsisme, il faut une dose non négligeable de narcissisme, donc peu d’intelligence et beaucoup d’égotisme.

Il vaut mieux garder sa distance avec de tels individus car, par leur rigidité psychique et leur total attachement à leur personne, ils éclipsent toute lumière et empêchent de respirer.

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La persistance de Milou

août 8th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #69.

Certains animaux, lorsqu’ils tentent de communiquer quelque chose qui leur semble important, à un humain qui ne les prend pas assez au sérieux, peuvent faire preuve d’une extraordinaire persistance.

Une superbe, très sobre et émouvante illustration en est donnée par Hergé à la planche 60 de l’album Les Sept Boules de cristal. Il y représente, en portraitiste animalier, le petit chien Milou, tentant de faire comprendre, à Tintin, qu’il a découvert le chapeau du professeur Tournesol, disparu.

Envers et contre tout, malgré les remontrances et les moqueries, Milou revient à la charge, ne se laissant pas aller au découragement. Enfant, cette séquence m’avait beaucoup marqué.

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Celui qui se voulait maître…

août 8th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #68.

On entend, couramment, l’expression, bien esclavagiste : “ le propriétaire d’un chien ou d’un cheval ”, ou encore : “ le maître d’un chien… ”. Moins souvent : “ le propriétaire d’un chat  ; ou encore moins souvent : “ le maître d’un chat ”. Peut-être parce que cela sonnerait par trop prétentieux, en l’espèce…

Cela dit, quel que soit l’animal en question, que l’on réfléchisse un peu aux réalités profondes de la nature de la relation que l’on entretient avec lui. Que l’on considère, chez l’animal, son intelligence et sa sensibilité. Et que l’on médite sur les aspects éthiques de cette relation… Pouvoir de contrainte est-il vraiment maîtrise ?…

La conclusion d’une telle réflexion est obligée : aucun homme n’est assez méritant pour se décréter maître d’un animal, sans sombrer dans le ridicule devant l’univers.

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Les Études de Chopin

août 8th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #67.

J’affectionne les Études de Chopin [1810-1849], particulièrement leur interprétation par Maurizio Pollini (1972) et par Nikita Magaloff (1975). Leur sobriété de ton et leur honnêteté musicale donnent pleinement vie à ces merveilles. Sans qu’ils n’usent du moindre artifice dans leur jeu : elles n’en ont nul besoin.

Quelle modestie et quelle intelligence, chez le grand compositeur, d’avoir simplement titré Études de tels chefs-d’œuvre musicaux ! Toutes m’enchantent par leurs ruissellements, mais particulièrement la 23e et la 24e. À la 23e, on se laisse rafraîchir par une petite ondée, et à la 24e on tente de suivre la course d’un ruisseau dévalant.

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Cours après moi que je t’attrape !

août 7th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #64.

2014.08.05. – Un currawong, grand oiseau autralasien du genre Strepera, son œil d’or fixé de côté sur notre chatte, esquive, par petits bonds légers, en oblique et latéralement, les avancées prudentes de celle-ci…

Puis Chatoune se décide : après un moment de concentration toute féline, le corps ramassé sur lui-même, elle bondit et fonce ! la queue en panache, tous ses poils dressés ! – mais elle le fait de façon latérale, elle aussi, surtout pas droit dessus. Les currawongs, ils sont timides et plutôt aimables, certes, mais ils sont très grands… et leur bec s’avère rudement long !

Lui-même, sans s’envoler, fuit un peu… mais pas trop. Et ça recommence… Elle reprend tout son manège, en débutant, à nouveau, par des approches bien circonspectes…

Petit jeu de “ cours après moi que je t’attrape ! ”. Celui qui touche, perds !

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La surveillance n’est plus ce qu’elle était

août 7th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #63.

 Chut! Ne dites pas ça ! ” – Jeté en coin, un regard de superstitieux… craignant qu’une parole imprudente, de plainte, de joie ou d’optimisme, ne soit guettée par quelqu’entité malveillante. Il est si convaincu de sa propre importance qu’il croit vraiment qu’un tel être, confusément défini et vaguement omnipotent, garde en permanence l’œil sur lui.

Par contre, il sera le dernier à reconnaître que des êtres humains particulièrement malintentionnés, agents de l’État tout puissant ou de corporations géantes, le surveillent bel et bien, par des mécanismes plus ou moins automatisés, dans toutes ses activités traçables ! Et l’attendent au contour, si besoin est…

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La vacuité et le regret

août 7th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #62.

Depuis une dizaine de minutes, par la puissance de sa vacuité, ce moulin à paroles me pompe littéralement l’air des poumons. Je suis fatigué, je ne dis rien, je subis. Puis son ton change, il se met à évoquer des regrets que la vie lui a laissés. Je l’encourage un peu, peut-être dira-t-il enfin quelque chose d’intéressant, qui sait, peut-être même à la limite de l’existentiel ?

Quelle erreur ! Je n’avais pas saisi la nuance exacte de son ton soudain équivoque… Car il se lance alors dans une énumération… de ses occasions sexuelles manquées !

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L’harmonie et la mélodie

août 6th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #60.

La mélodie stimule les sentiments et la pensée, l’harmonie les stabilise, le rythme les renforce. La musique de l’époque baroque italienne me convient particulièrement car, en général, elle évolue élégamment sans ligne mélodique imposante, et se déroule toujours dans le respect de l’harmonie. Par ces deux qualités insignes, elle m’apaise et me tranquillise. À la différence de beaucoup d’œuvres romantiques, dotées souvent de bien belles mélodies, mais par trop présentes, et à l’harmonie parfois approximative.

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Superbes paysages, sagesses millénaires… à décliner au passé

août 6th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #59.

Asie. Superbes paysages, sagesses millénaires… La beauté et la plénitude sont là. Ou du moins, étaient là… En effet, il s’agit surtout de beaux restes, car la laideur et la folie s’étendent, rapidement, partout sur la planète, y compris dans cette vieille partie du monde. Les paysages sont saccagés, les témoignages de sagesse antique sont souillés.

C’est évident : en général, les humains ne font pas preuve d’amour pour les vestiges anciens de beauté et de sagesse.

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Le soleil émergeant de la crasse

août 6th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #58.

Une ferme sinistre, sordide, expose une terrasse sale en contre-plaqués loqueteux. La nappe plastique est crasseuse, des fragments de nourriture y traînent. L’odeur du fumier prend à la gorge, et le chien mauvais, hargneux, aimerait bien faire de même. On craint la rencontre du maître de cette petite évocation de l’enfer. Le chemin longe pourtant le lieu, il nous faut bien continuer avant. Le tas d’ordures se voulant fumier, énorme, exhalant ses fumerolles traînantes, est là, très présent… On presse le pas.

Soudain, entre la carcasse béante d’un vieux frigo et un pêle-mêle de canettes et de bouteilles vides, émerge, droit, vert et jaune, tout seul dans son coin, un grand tournesol. Soleil ! Né dans les déchets, éblouissant de générosité, promesse vivante d’un monde meilleur.

Soleil ! Dans la laideur et la mauvaiseté, j’invoque ton nom. Et celui de ton héraut pour la vie : hélianthe… Nom de lumière et de beauté, de douceur et de magnanimité. Soleil !

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Un Paradis vide de tout animal

août 6th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #56.

Mon indignation (et mon inquiétude !), enfant, quand on m’affirmait qu’il n’y avait pas de place au Paradis pour les animaux, même les plus gentils… Par contre, qu’il y avait un programme spécial de rattrapage, dans une école dite du Purgatoire, permettant aux humains même les plus méchants d’y parvenir, en fin de compte.

Double indignation, double appréhension ! D’avoir à côtoyer là-haut des méchants, certes repentis, mais quand on a un mauvais fond… Et de m’ennuyer pour l’éternité dans un monde sans le moindre animal !

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L’espoir de faire fleurir le Grand Jardin

août 5th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #55.

Au milieu de la méchanceté, du mensonge et de la laideur, dans un monde de brutes, les êtres humains de qualité, honnêtes gens de bonne volonté, ont en eux une nostalgie étrange du beau, du vrai, du bien. Ils ressentent, d’instinct, qu’eux-mêmes, à l’instar de la plupart des êtres conscients, voire de la plupart des êtres vivants, aspirent à la plénitude de leur présence au monde. Aussi éphémère que soit leur présence, aussi démesuré que soit le monde.

Ils rêvent que celui-ci, quoiqu’immense, ne leur est pas entièrement indifférent… et qu’à défaut d’éternité ils peuvent compter sur une mémoire de leur passage. De leur participation à la création d’un beau paysage. Doux rêve… espoir fou que leur propre élan vers le mieux ait pu contribuer à faire fleurir le Grand Jardin…

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L’oiseau des tempêtes

août 5th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #54.

Confusion de la cause et de l’effet… Dans Le Vaisseau fantôme, les marins du pirate Barbe-Rouge, apeurés à l’approche d’un ouragan, paniquent parce qu’un grand albatros s’en vient voler au-dessus du navire : ils croient que ce dernier amène la tempête avec lui… C’est « l’oiseau des tempêtes » ! Bien sûr, l’albatros craint, lui aussi, l’ouragan, et il approche du vaisseau dans l’espoir que celui-ci puisse lui offrir un abri…

Barbe-Rouge, pour couper court à la panique superstitieuse, abat ce malheureux réfugié qui fuyait pour sa vie. Geste efficace d’un forban meneur de forbans, mais quelle profonde indignation ce geste brutal et injuste avait-il provoquée chez le petit garçon que j’étais ! J’étais également éberlué par la bêtise de la superstition. En grandissant, je devais constater que les humains se comportent souvent ainsi…

Par sa couverture impressionnante, source d’une émotion esthétique intense lorsque je l’avais découvert en librairie, ainsi que par son récit impitoyable, très bien mené, cet album BD de 1966 est un de ceux qui m’ont le plus marqué, enfant. Il a contribué à me constituer, en positif et en négatif.

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Une musique pour enfants, une autre pour adultes mûrs

août 5th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #53.

Les Anglais, les Écossais et les Irlandais ont des traditions populaires d’airs entraînants, que l’on peut siffler. Ils s’avèrent ainsi très doués pour les comptines et les historiettes. Des musiques pour enfants, très réussies.

À l’opposé, il y a les airs profonds, tout intérieurs, subtilement travaillés, des traditions andalouse et castillane : de la musique pour adultes mûrs. Pas du tout la tasse de thé des anglo-saxons…

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Le grand jeu félin de l’embuscade

août 4th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #52.

Chatoune est ingénue et innocente. La petite grisette s’avère toujours candide ; elle est également enjouée et folâtre…

Son bon caractère se manifeste même dans l’activité la plus sérieuse qui soit pour un chat : la chasse en embuscade.

Grâce à leur patience extrême et à leur parfait contrôle d’eux-mêmes, les félins sont de grands spécialistes de la chasse à l’affût. Ils savent attendre tout le temps qu’il faut. Mais aussi, ils savent la pratiquer où il faut et comme il faut. Préparant soigneusement son guet-apens, un chat se révèle parfaitement en mesure de chasser en embuscade même tout seul.

Sur notre terrain, Chatoune allait se cacher sous le feuillage d’un très vieux yacca, une herbacée géante et pérenne endémique de l’Australie. Là-dessous, elle se tenait telle un sphinx et patientait, tranquillement mais attentivement, aux aguets. C’était Le Grand Jeu de l’embuscade.

Au moment où nous passions devant, elle jaillissait comme une flèche pour se lancer sur nous ! Elle attendait que nous ayons suffisamment avancé sur notre chemin pour toujours nous arriver dans le dos. Nous avions beau nous y attendre, nous sursautions à chaque fois, car elle était sensible à nos attitudes, et savait guetter le moment précis où notre corps semblait dire : “ Ah bon, elle n’est pas là ”… pour, justement ! dans cette fraction de seconde où notre vigilance s’était relâchée, nous bondir dessus !

Quel bonheur nous lui prodiguions, à chaque fois, par notre sursaut ! Elle courait alors de droite, de gauche, la queue arquée, contente ! Elle se roulait plusieurs fois dans la poussière, les yeux brillant de fierté, puis nous précédait pour la promenade, nous guidant vers les choses intéressantes qu’elle venait de découvrir. Ou bien, dans l’enthousiasme de sa joie, elle se précipitait en haut d’un arbre !

Chatoune, jeune chatte de deux ans, sur un acacia mort de notre grand terrain à Kangaroo Island, le 16 décembre 2014.

Chatoune, jeune chatte de deux ans, sur un acacia mort de notre grand terrain à Kangaroo Island, le 16 décembre 2014.

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Moitié-forte, le currawong courageux

août 4th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #50.

2015.08.25 – Les currawongs sont de très grands oiseaux autralasiens du genre Strepera, qui ne sont pas des corvidés allongés et au long bec, mais des passereaux artamidés aux yeux d’un beau jaune vif ; ils poussent des appels très étranges, à l’origine de leur nom vernaculaire et de leur nom de genre. Ils ont une façon inimitable de se laisser tomber de branche en branche, et de se déplacer au sol sans discrétion aucune, de par leur taille et leur démarche gauche. Ce sont de grands sauvages, à l’intelligence sous-estimée à cause de leur timidité.

Un jour sur le deck de notre maison construite sur pilotis, soit sur la plate-forme de la vérandah, je remisais avant le soir les graines pour oiseaux, celles-ci n’étant pas destinées aux rats, sortant la nuit. Un currawong, de loin, observait, régulièrement, la scène. Pacifique comme tous les siens, il n’avait jamais dérangé les petits oiseaux se nourrissant. L’une de ces graines tombe entre deux lattes. Ni une, ni deux : il s’envole et se précipite droit sous la maison à la recherche de celle-ci. Il n’avait pas eu la possibilité de la voir passer à travers le plancher du deck, car la partie inférieure de la maison était cachée par un treillis de bois. Il avait inféré, avec une sagacité immédiate…

Outre leur intelligence de grands modestes, il convient de signaler que, lorsqu’il le faut, comme la plupart des oiseaux, les currawongs savent se montrer courageux. J’ai vu un couple de parents chasser, avec détermination, un très gros chien qui s’approchait trop près de leur petit. Par ailleurs, ils sont coriaces : j’en ai vu survivre à de longues sécheresses et à des tempêtes terrifiantes.

J’ai aussi eu l’occasion d’assister, pendant des semaines, au combat silencieux de l’un d’eux, contre une paralysie progressive de la moitié droite de son corps. J’étais plein d’admiration de le voir réussir à voler, en un vol bancal, mais vol quand même. Réussissant efficacement à se nourrir par lui-même. Trop farouche pour se laisser approcher, comme tous ses congénères. Ces derniers le laissaient en paix, à la différence de ceux de « Sur-une-patte », la magpie handicapée…

Je l’appelais « Moitié-forte ». Rien qu’à l’ouïe, je pouvais déterminer sa présence, car il avait une façon bien à lui de sautiller dans l’herbe et dans les feuilles au sol. Avec son bec de longueur intermédiaire, je n’arrivais pas à déterminer son sexe.

Un jour, au petit matin, je l’ai retrouvé mort ; pas de blessure sur lui, c’était peut-être la maladie, responsable de sa paralysie, qui l’avait tué. Même tout tordu dans sa dernière convulsion, il restait beau. Si élancé, si élégant dans son éclatant plumage noir et blanc.

Je réalisai alors combien il avait été vital, pour le déraciné que j’ai toujours été, qu’une longue partie de mon existence se fasse au contact étroit de la nature profonde. Ces dix-sept années passées dans le bush australien m’avaient donné une précieuse expérience. J’ai beaucoup appris de la vie, et sur elle, grâce à ce contact.

Maintenant, je tourne la page du grand livre de la vie, littéralement – et je crois avoir suffisamment connu, évolué et mûri pour écrire un peu, en particulier sur les êtres que j’ai eu la chance de pouvoir aimer et admirer.

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Un monde d’enfer

août 3rd, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #49.

Le monde est bien plus proche de l’enfer qu’il ne l’est du paradis, cela saute aux yeux si l’on y regarde de près. Partout sous le microscope, c’est argiles compacts, pourritures fongiques et monstruosités acariennes, plutôt que cristaux de neige, jolis radiolaires et diatomées opalescentes.

Pour y voir une apparence de paradis, et pour donner à voir cette apparence… il y faut le filtre, délibérément flou, d’un grand peintre impressionniste, animé d’un bon tempérament.

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La musique de l’époque baroque

août 3rd, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #48.

La musique de l’époque baroque, celle venue d’Italie en particulier, n’est pas baroque du tout, à l’opposé de l’architecture. Au contraire, elle est économe de ses moyens et d’une clarté d’expression exemplaire.

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Le cadeau de la chatte

août 3rd, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #46.

Chatoune est franche, simple, sincère et pure dans tout ce qu’elle fait. Petite chatte grise et vive, elle revenait souvent de ses explorations fructueuses sur notre grand terrain à Kangaroo Island en émettant une série de miaulements brefs typiques, à l’intonation urgente et à la signification claire : « Venez, venez vite les enfants ! »

Nous sortions et elle déposait à nos pieds une petite souris en offrande, le plus souvent parfaitement vivante, quoiqu’étourdie. Alors, d’une main j’escamotais le somptueux cadeau, que je cachais dans mon poing, de l’autre je la félicitais et la cajolais, elle ronronnait, me regardait intensément dans les yeux. Je faisais miam-miam de la bouche, d’un air gourmet ; suite à quoi, elle se roulait de bonheur dans la poussière, ronronnait encore plus fort, se levait vivement, me mettait une patte douce sur le visage, puis me léchait longuement le front en me tenant de ses deux pattes avant. Enfin, tout heureuse, elle retournait à la chasse.

Cet échange, c’était un grand bonheur. Quand elle était repartie, je relâchais la petite proie, éberluée, dans un buisson tranquille, plus loin.

Amitiés, luttes, habileté, survie, férocité, courage, gentillesse, bienveillance, complexité, impermanence, c’est tout ça, la roue du Dharma, la loi vivante du cosmos, que si peu savent ou veulent accepter.

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La volonté vers la vie, ou vers la puissance

août 2nd, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #45.

Schopenhaueur [1788-1860] et Nietzsche [1844-1900] sont deux philosophes profonds et très originaux, qu’on peut lire et relire avec profit. Le deuxième fut d’abord le fils spirituel du premier, même si assez rapidement il prit son propre chemin. Un point particulier, peu évoqué, les distingue : leur relation aux animaux.

À la différence de Schopenhauer, qui aimait avec constance les animaux, Nietzsche avait, en général, plutôt de l’indifférence à leur égard, au mieux il avait une attitude ambiguë. On ne doit pas s’en étonner si l’on se donne la peine de méditer, quelques secondes, sur la devise existentielle propre à chacun de ces philosophes atypiques.

Pour le premier, c’était la pulsion de vie, littéralement « la volonté vers la vie » (« der Wille zum Leben »). Pour le second, c’était « la volonté vers la puissance » (« der Wille zur Macht »).

Or, sur une planète surinvestie par l’homme, on ne construit plus, depuis longtemps, de puissance qui soit fondée sur un contact privilégié avec les animaux. Pour une personnalité telle que Nietzsche, rêvant de surhumanité et d’une communauté d’égaux à lui-même, seuls les hommes offraient de l’intérêt, par leur éventuelle disponibilité à ses rêves de réalisation dionysiaque et de dépassement existentiel, « vers la puissance » (« zur Macht »).

Schopenhauer était moins porté sur des rêves d’organisation politique, aussi, chez lui, la porte se trouvait-elle grande ouverte sur un intérêt respectueux à l’égard de ses frères animaux, qu’il estimait autant animés que lui-même de Wille zum Leben !

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Comprendre, puis accepter l’ordre des choses

août 2nd, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #44.

Depuis ma petite enfance, il m’a fallu des décennies d’efforts opiniâtres pour comprendre la réalité des choses – une réalité dans laquelle l’organisme qui me constituait avait bien de la peine à trouver ses marques… Je n’ai pas beaucoup aimé ce que j’ai trouvé, que ce soit au-dehors ou au-dedans, ou entre les deux…

Aussi, mon autre effort, tout aussi tenace, a-t-il consisté à accepter, avec équanimité, l’ordre des choses.

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La chatte qui défendait ses petits

août 2nd, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #43.

Banlieue de Khartoum-Nord, Soudan. Petite enfance, fin des années 60. De ma chambre, j’entends soudain des cris déchirants. Je me précipite sur le balcon. Au loin, sur le vaste terrain vague séparant notre maison du Nil Bleu, je vois un chat aux prises avec trois chiens errants. Je ne comprends pas : pourquoi ne s’enfuit-il pas ? Pourquoi reste-il ainsi adossé à un tronc mort couché, ne quittant pas sa place ? Il donne des grands coups de griffe, à gauche ! à droite ! poussant des cris terrifiants ! mais les trois chiens persistent ! Le chat n’a aucune chance !

Affolé, j’appelle ma nounou de Haute-Égypte : « Yoya ! Yoya ! » Elle arrive en traînant un peu. « Yoya, vite, il faut aller là-bas sauver ce chat ! – Quoi ? Pas question, nous pourrions nous faire mordre, et puis ce n’est pas l’heure de la promenade ! – J’y vais tout seul alors ! – Quoi ?! Tu seras puni par ton père ! – Yoya ! Je t’en prie ! – Bien, bien. »

Quand nous arrivons sur place, les chiens ont disparu. On retrouve le chat, mort dans une dernière position de combat, la bouche grande ouverte, les griffes sorties. À côté, deux chatons massacrés. Au pied du tronc couché, un trou profond à la terre fraîchement retournée. En un éclair, je comprends tout : c’était une mère chatte, dans le terrier elle cachait ses petits. Les chiens les avaient dénichés.

La chatte avait défendu ses petits, jusqu’au bout, dans un combat désespéré.

Je pleure sans dire un mot. La nounou ne veut pas le montrer, mais elle est émue. Nous continuons notre promenade, en silence.

Je n’ai jamais oublié cette chatte. Cette mère héroïque, combattant jusqu’à son dernier souffle. Expirant dans la souffrance et le désespoir, sachant qu’elle n’aura pas sauvé ses petits.

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La tombe, enseignante

août 1st, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #42.

La tombe la plus proche est une enseignante intransigeante, que les sots qualifient de pessimiste, alors qu’elle est simplement la plus réaliste qui soit.

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La chatte, incomparable éducatrice

août 1st, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #41.

La chatte est une incomparable éducatrice de ses chatons. Vigilante, patiente et persistante. Sous leurs regards attentifs de petits félins, elle va gratter lentement le sol ou la litière, encore, encore, puis enterrer encore plus soigneusement ses déjections, le tout posément. Ensuite elle lèche le ventre de chaque chaton, les encourage à persister lorsqu’ils grattent à leur tour, les incite encore lorsqu’ils enterrent, maladroitement, leur petit besoin.

Un peu plus tard, en gestes délibérés et précis, elle grimpe sur la première branche d’un arbre, puis, par des appels calmes mais pressants, encourage ses petits à faire de même. Et ils le font – gauchement mais en s’appliquant, imitant laborieusement les gestes de leur mère, au point de tourner autour de l’arbre exactement dans le même sens qu’elle, et de suivre précisément les mêmes étapes dans l’ascension. La descente se révèle la partie la plus délicate…

Au cours d’un autre exercice ardu, elle apportera une proie morte. Elle les stimulera à mordre dedans, puis elle passera au plus difficile : leur apprendre à en manger. Ils finiront par le faire, comme elle, délibérément, précautionneusement.

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Une mère prudente, prévoyante, prompte et précise…

août 1st, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #40.

Une vieille dame hébergeait une chatte qui avait mis au monde trois chatons qu’elle allaitait dans une petite boîte, au salon. Si on sonnait à la porte, la dame allait ouvrir à des visiteurs venus voir les chatons et les amenait aussitôt dans la pièce en question… mais, entretemps, la mère avait déjà disparu avec ses trois petits !

Sa cachette est toujours restée introuvable – aucun des rejetons ne faisait le moindre bruit. La chatte, prévoyante, avait bien par avance reconnu les lieux ; elle s’était préparée une retraite sûre et avait déterminé le meilleur trajet pour y parvenir. Dans le court laps de temps entre le moment où l’on sonnait à la porte et celui où la dame faisait entrer ses visiteurs au salon, la mère devait procéder à trois transports, un chaton à la fois, de la boîte à sa précieuse cachette.

Jamais la dame ne l’a vue faire ! La chatte procédait à l’évacuation de ses trois petits dans la discrétion la plus totale, avec une rapidité confondante. Elle savait parfaitement ce qu’elle devait faire, savait exactement comment le faire. Précision, promptitude, économie de mouvements.

On notera aussi qu’une mère n’est jamais trop prudente : la chatte ne ramenait ses chatons dans la petite boîte au salon… qu’après s’être assurée qu’on ne l’observait pas.

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Sur-une-patte, la magpie rejetée

juillet 31st, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #39.

2015.08.07, hiver austral – Depuis quelques jours, j’observe une magpie, femelle, jeune apparemment, plutôt maigre, boitillant piteusement, restant figée sur place quand elle me voit, et bizarrement posée sur son ventre, un peu de travers. Petit à petit, à force de rencontres, elle se détend.

Depuis quinze jours, résolument, je vais, je viens, de quatre conteneurs maritimes que je vide systématiquement, à un grand feu brûlant devant. Les conteneurs sont remplis d’articles scientifiques et techniques anciens, empilés sur des bibliothèques métalliques démontables, c’est tout très intéressant et bien trié, mais je dois débarrasser pour le retour en Europe. À Kangaroo Island, je les avais transformés en compactus. Trente-six ans de documentation qui partent au feu. Je ne garde que ce que je compte relire.

La magpie demeure dans le coin, me laissant parfois approcher à moins de deux mètres. Je lui ai installé une petite soucoupe avec de l’eau, elle vient y boire. À cinquante mètres de là, deux malheureux jeunes chiens, attachés à longueur de journée, jappent lamentablement, parfois pendant des heures. Ils sont beaux, des red kelpies, se tenant droits, ils ont des oreilles pointues, ce sont de vrais canidés. Au moins sont-ils à deux, mais quelle jeunesse…

Un matin, la magpie s’introduit d’un coup d’aile décidé dans le conteneur aux portes grandes ouvertes, s’installe à un mètre vingt de moi sur une bibliothèque, et m’observe ainsi pendant un quart d’heure. Je lui parle, je continue de trier, elle me suit de ses yeux rouges, presque brûlants par l’intensité du regard. Je peux l’observer à mon tour plus attentivement : sa patte droite est complètement tordue, inutilisable. Je ne vois pas de fil de pêche dont je devrais éventuellement la libérer, comme je l’avais déjà fait pour deux de ses congénères, rien à faire pour moi de ce côté. Soudain, elle s’en va. J’ai compris.

L’après-midi je reviens avec des croquettes pour chats. Les deux chiens jappent toujours, elle-même repose tranquillement couchée sur le ventre, toujours dans le fossé devant le conteneur. À deux mètres d’elle, je lui lance une croquette, que malgré sa condition d’éclopée elle arrive à saisir du bec dans sa trajectoire ! Elle me regarde : oui, voilà, tu as compris.

Les deux chiens sont soudain silencieux, dressés sur leurs pattes, ils nous regardent attentivement. J’envoie à la magpie cinq croquettes de plus, en visant bien car elle est quand même très handicapée, puis j’arrête afin de lui éviter une indigestion. Les deux chiens observent toujours, très silencieux, leurs belles oreilles dressées, et je les vois penser : là, il se passe quelque chose d’important, soyons bien attentifs…

Je retourne à mon labeur de triage, la magpie s’en va. Les deux chiens resteront silencieux pour le reste de l’après-midi ; ils méditent, leur pauvre jeunesse de prisonniers leur a enfin fourni un sujet digne de leur remarquable intelligence. Quatre individus sensibles et conscients se sont observés, et réfléchissent.

2015.08.09 – « Sur-une-patte » est toujours là. J’appelle ainsi la petite magpie à la patte difforme. Elle me reconnaît de loin, vole vers moi à tire-d’aile. Cette fois, elle se saisit des croquettes d’entre mes doigts, je lui en donne ainsi une dizaine. Le contact est bon, elle aime bien s’installer tout près et me regarder m’activer.

Par contre, je constate avec inquiétude des blessures écarlates sur sa tête, probablement dues aux coups de bec des magpies de son groupe qui l’ont rejetée. Je les vois alentour, l’œil sur nous… et elles ne semblent pas regarder Sur-une-patte avec aménité. Ces passereaux artamidés, très intelligents, qui vivent en groupe serré, sont connus pour leur façon de rejeter, soudainement et impitoyablement, un congénère hors du clan.

2015.08.11 – Depuis le matin, c’est la tempête sur l’île, avec des rafales de pluie. Je suis inquiet pour Sur-une-patte, je ne l’ai pas vue hier… et avec son unique patte, il doit lui être très difficile de s’arc-bouter contre le vent violent. Il est exclu pour elle, dans de telles conditions météorologiques, de sautiller d’un coin à l’autre à la recherche de nourriture, elle se ferait emporter. Elle doit avoir faim en plus de froid. Je pars à sa recherche sous le vent et la pluie.

Je la trouve près de notre propre maison cette fois, je l’ai reconnue de loin à sa démarche particulière ; elle aussi m’a reconnu, car elle s’élève du sol et vole sans hésiter droit sur moi. Cette fois, elle s’installe sur la barrière du jardin. Elle est transie, l’air misérable, ses blessures à la tête sont à vif. Elle se saisit des croquettes que je lui tends, cette fois elle a droit à une douzaine de celles-ci. Je lui parle un peu, elle fait un petit besoin. Tout va bien.

Mais à peine je m’éloigne d’elle, de deux mètres seulement, qu’elle pousse un grand cri ! Woush ! deux autres magpies, venues de nulle part, me frôlent presque et se lancent sur elle ! Elle s’enfuit en zigzaguant, mais par leur chasse habile ses deux adversaires, en parfaite santé eux, s’y prennent avec adresse pour la forcer au sol. Elle se couche sur le dos, poussant de grands cris, et les deux la piquent et la repiquent férocement.

Il m’a fallu quelques secondes pour réaliser la scène ! Je me précipite alors en courant, faisant de grands moulinets des bras, « allez-vous en ! » qu’il leur crie, le bipède lourdaud ! Elles ne s’en vont que lorsque je me trouve à cinq mètres d’elles ! Sur-une-patte profite de la diversion pour s’évanouir dans la canopée touffue d’un eucalyptus mallee.

Bon… Je sens que la survie de la petite handicapée ne sera pas simple… Ses pires adversaires ne seront ni les prédateurs, ni les éléments déchaînés, ni les difficultés inhérentes à sa condition, mais les membres de la communauté qui l’a rejetée.

Il pleut, il vente. Il ne me reste qu’à méditer, devant, au loin, la mer grise et indifférente.

2015.08.12 – Ce matin, la tempête a soufflé encore plus violemment sur l’île. Dans l’après-midi, alors que je me douche, j’entends les cris de détresse typiques d’une magpie recevant une raclée de congénères. Serait-ce Sur-une-patte ? Le temps de me sécher en vitesse, de m’habiller, je sors – mais rien, personne, nulle magpie. Pour moi, c’est comme un grand silence tout autour, malgré les rafales du vent qui continue de souffler rageusement. Sur-une-patte…

2015.08.16 – Cela fait cinq jours que je n’ai plus revu mon amie. Si c’était bien elle que j’avais entendue, il y a quatre jours, elle aurait survécu aux journées de tempête… et peut-être s’est-elle décidée à ne plus sortir des bois, car les membres de son clan, qui l’ont rejetée, sont trop dangereux pour elle. Peut-être… Bonne chance, petite boiteuse, j’espère recroiser ta route. Tu m’as rappelé ce que c’est que de lutter, chaque jour, simplement pour survivre.

Début mai 2016 – Nous quittons définitivement notre grand terrain de Kangaroo Island. Cela fait neuf mois que je n’ai plus revu Sur-une-patte. Mais je ne l’ai pas oubliée. Je lui dédie ce petit journal, rédigé au gré de nos rencontres.

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Laïka trahie

juillet 30th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #37.

Laïka fut expédiée dans l’espace le 3 novembre 1957, à bord de Sputnik-2. Le premier cosmonaute de l’histoire fut une cosmonaute. Mais la brave, intelligente et paisible Laïka était une chienne, et elle n’était considérée que comme un laboratoire d’expériences biologiques : comment son corps résisterait-il aux conditions de vol spatial, après combien de temps mourrait-il, de quoi exactement ? Elle n’était nullement destinée à être ramenée sur Terre.

Après la terreur et le mal-être de tout son corps lors des premières heures de vol, terrorisantes et épouvantablement pénibles, elle connut une longue, très longue agonie quand sa cabine surchauffa.

D’autres sacrifices du même acabit, cruels à tout point de vue, allaient suivre, avec des variantes, les USA, par exemple, préférant utiliser des singes, longuement dressés…

Ce qui choque le plus, dans chacun de ces cas, c’est qu’il y a eu trahison. Tous ces animaux faisaient confiance à leurs éducateurs, avec qui ils avaient développé une relation de confiance, et ne pouvaient pas imaginer qu’on les envoyait en enfer… et vers quel enfer.

C’est cela qui rend l’utilisation d’animaux intelligents particulièrement insoutenable en matière d’expérimentation : la trahison à leur égard.

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Le porteur d’eau et ses petits amis

juillet 30th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #36.

Janvier 2009, été austral.

Suite à une longue sécheresse, l’étang sur notre propriété de Kangaroo Island, quoique profond de plusieurs mètres, s’était retrouvé à sec. Je doublai alors le nombre de récipients emplis d’eau un peu partout autour de la maison, en des endroits où ils seraient à l’ombre pour toute la journée. Afin que les insectes et les petits oiseaux puissent boire sans danger de noyade, je disposai verticalement, dans chaque seau, deux branches lourdes, dont la partie supérieure se retrouvait en appui contre le rebord intérieur, et posai à la surface de l’eau des petits bouts de bois flottant, de tailles diverses : le petit être qui tomberait dans un récipient pourrait agripper un de ces mini radeaux, puis remonter le long d’une de ces branches coupées, jusqu’au rebord du seau. Je disposai par ailleurs trois lourdes pierres autour de chaque récipient, afin qu’ils ne soient pas renversés par de plus grands animaux, maladroits, kangourous, wallabies, possums ou échidnés.

Puis je réfléchis : bien des animaux, nombreux, ne viendraient pas jusqu’ici… leur point d’eau habituel c’était là-bas, à l’étang. J’éprouvais de la peine pour tous les êtres qui ne pourraient plus s’y désaltérer. Voyons… Que faire… Je pourrais déposer, au fond de cet étang à sec, des seaux d’eau, que je remplirais à l’aide du grand réservoir d’eau et de la pompe à incendie que j’avais fixés sur une remorque. Non, cela n’irait pas… Je ne pourrai pas utiliser la pompe pour remplir ces récipients, même son plus faible débit reste puissant et trop d’eau serait ainsi gaspillée alentour ; quant à l’écoulement à partir du petit robinet de vidange, cela prendrait un temps fou pour remplir chaque seau… Par ailleurs, le réservoir était maintenant plein de 800 litres, la remorque s’avérait presqu’indéplaçable sous un tel poids ! Enfin, je l’avais positionnée, près de la maison, exactement là où il fallait pour une lutte contre un incendie, et en ces jours de sécheresse extrême un feu de brousse pouvait nous tomber dessus en quelques minutes… Il était exclu que nous nous retrouvions, pour une heure ou plus, sans cette précaution d’appoint.

Bon… Portant à bout de bras deux seaux d’eau, je fis alors, à pied, le trajet de cent cinquante mètres depuis la maison ; enfin arrivé à l’étang à sec, je les déposai dans la vase, en son fond. Je pris les mêmes dispositions que pour les récipients près de la maison : branches contre la noyade, pierres contre le renversement. Rude tâche, car il faisait chaud.

À mon deuxième trajet, apportant les troisième et quatrième seaux pleins d’eau, je remarquai, déjà, des petits oiseaux perchés sur le rebord des deux premiers récipients. Je déposai ainsi, en tout, huit seaux remplis d’eau, au fond de l’étang à sec. Je m’installai ensuite sur une grande pierre, sous l’ombre d’un eucalyptus géant, pour admirer le ballet des petits êtres de toutes sortes venant se désaltérer. Les petits oiseaux, bien sûr, puis un papillon, une abeille, d’autres insectes… Rapidement, ce fut tout un manège ailé. J’étais heureux.

En fin de journée, je revins avec deux seaux remplis d’eau afin de compléter le niveau de ceux que j’avais installés au fond de l’étang à sec. L’activité de la petite faune auprès de cette oasis artificielle restait importante.

À l’aube du jour suivant, les huit récipients étaient entièrement vides, car les wallabies et les kangourous étaient venus à leur tour, la nuit, et leurs besoins en eau étaient importants. Je pouvais voir leurs empreintes tout autour, dans la vase de l’étang encore un peu humide. Je vis même des traces d’échidné, cela n’avait pas dû être simple pour lui, mais les pierres disposées contre les seaux l’avaient sans doute aidé, il avait pu monter dessus pour accéder à l’eau.

Je repris ma tâche. D’abord rapporter les huit récipients vides à la maison. Au premier voyage effectué avec deux seaux pleins, des oiseaux m’accompagnèrent ; j’étais impressionné, ils avaient vite compris. Tout le long du trajet, j’entendais des petits “ pip ! ”, je discernais des vols rapides, frrout !  Je déposai les deux seaux au fond de l’étang à sec, redisposai six pierres autour d’eux, enfin les branches dedans afin que personne ne se noyât. Puis je repris le chemin de la maison. Je n’avais pas fait quatre mètres que les deux récipients d’eau étaient investis, dans une folle agitation, “ pip ! ”, “ pip ! ”, frrout !

Deuxième trajet, avec les troisième et quatrième seaux remplis d’eau. À peine l’avais-je entrepris, que je me retrouvai environné de papillons blancs ou jaunes, qui voletaient autour de moi. Ils m’accompagnèrent tout le long ! Eux aussi, ils avaient vite compris ! J’étais éberlué, émerveillé. Cette scène est l’un des plus beaux souvenirs inscrits dans ma mémoire.

Je fis encore les troisième et quatrième trajets, jusqu’à ce que huit seaux emplis d’eau se retrouvassent à nouveau au fond de l’étang à sec.

Tout le long, je fredonnais l’air de « Ce petit chemin »[1] :

C’est le rendez-vous
De tous les insectes
Les oiseaux pour nous
Y donnent leurs fêtes !

C’était fatigant, vers la fin le soleil tapait dur déjà, mais j’étais heureux dans mon rôle d’ami à la peine pour les êtres, petits et grands, que je chérissais.

Je persistai ainsi, pendant des semaines, dans ma tâche de porteur d’eau, jusqu’aux premières pluies : des petites flaques d’eau, ici et là, permirent enfin à tous les animaux de se désaltérer.

[1] Chanson de 1933, paroles de Jean Nohain, musique de Mireille.

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Le macaque bon Samaritain

juillet 30th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #35.

2014.12.21 – En Inde, un macaque a donné, avec persévérance, pendant vingt minutes, des soins de réanimation à l’un de ses congénères, tombé d’un pylône où il s’était électrocuté. Il caresse la victime sans connaissance, la secoue, lui souffle dessus, la mordille, il va jusqu’à la plonger dans l’eau. Ce bain frais réanime enfin l’objet de ses soins.

Lorsque ce dernier reprend ses esprits, le secouriste lui prodigue un dernier petit massage, et puis tranquillement il s’en va…

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Le chat, incompris et calomnié

juillet 29th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #34.

Au cours de nombreux millénaires d’élevage, peut-être une trentaine de ceux-ci, on a transformé les gènes du psychisme de certains canidés pour en faire des chiens ; des animaux presqu’aussi intelligents que les loups, mais entièrement axés sur l’obéissance à tout ce qui présente forme humaine, et à la satisfaction des moindres caprices de leurs maîtres.

La domestication de certains chats est plus récente, moins d’une dizaine de millénaires. Bien qu’adoucis, en quelque sorte, par leur semi-domestication, ils ont conservé leur quant-à-soi ; sans doute parce que la soumission à l’autorité n’est pas inscrite dans les gènes des petits félidés, à la différence des plus grands canidés, qui s’avèrent des animaux éminemment sociaux.

Le chat, foncièrement indépendant, est farouche, mais également gracieux, au mental comme au physique. Pour comprendre le petit félin, il faut, soi-même, se montrer capable de grand calme, et s’avérer hautement respectueux de la vie, de ses formes… Être en mesure d’apprécier, sous toutes ses facettes, un chef-d’œuvre de l’évolution. Une beauté naturelle, qui se révèle particulièrement sensible et nerveuse, mais à qui l’évolution naturelle, sur des millions d’années, a su enseigner des vertus admirables de maîtrise de soi.

Un animal puissamment sauvage donc, pourtant capable d’offrir le plus charmant des compagnons domestiques. Étonnante combinaison… à la source d’une incompréhension majeure de la part de beaucoup d’humains.

En effet, il apparaît que, de par ses qualités mêmes, le chat soit un des animaux les plus calomniés. J’ai moi-même rencontré un nombre invraisemblable de personnes déclarant, sur un ton sans appel, qu’on ne peut avoir aucun contact valorisant avec un chat… alors que le chien, par contre !… Les chats sont trop individualistes, voyez-vous, et puis… ils sont faux ! Des hypocrites, voilà !

Ce que l’on ne peut comprendre facilement, ou interpréter facilement, s’avérant, par définition, suspect, donc mauvais…

Le grand-père de l’éthologie, Konrad Lorenz [1903-1989], avait fermement réagi contre l’accusation de fausseté, éminemment ridicule, néanmoins souvent portée sur ces animaux : « Je ne vois rien, dans le comportement spécifique des chats, qui offre la moindre prise à cette notion de fausseté. Il y a peu d’animaux sur le visage desquels un observateur averti puisse lire si clairement l’humeur du moment et prévoir quelle conduite – amicale ou hostile – va suivre. » (in So kam der Mensch auf den Hund, 1950 ; tr. fr. 1970 : Tous les chiens, tous les chats).

Pour ma part, des décennies d’interaction avec des chats, de tempéraments très différents les uns des autres, me permettent de corroborer, entièrement, l’appréciation avisée du grand éthologue.

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Sur le pont d’Avignon

juillet 29th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #33.

Les rondes enfantines, dans la simplicité de leurs airs et de leurs paroles, charment et marquent, tout en entraînant dans un mouvement collectif joyeux. La suivante est une merveille de naturel et d’élan, tant par ses paroles que par son air :

« Sur le pont d’Avignon, on y danse, on y danse,
Sur le pont d’Avignon, on y danse tous en rond.
 »

L’incipit de Nous n’irons plus au bois tient d’un autre registre… Cela reste sobre sur le plan mélodique, mais c’est subtil, en demi-teinte… et les paroles sont bien mystérieuses :

« Nous n’irons plus au bois, les lauriers sont coupés.
La belle que voilà ira les ramasser. »

Le sentiment d’étrangeté induit par les premières paroles s’accroît soudain par le constraste saisissant que fait aussitôt le refrain, qui génère une ronde simple et heureuse, n’explicitant rien mais compensant un peu la nostalgie de l’incipit. Là également, on ne peut faire plus simple et plus direct que les instructions qui sont données :

« Entrez dans la danse, voyez comme on danse,
Sautez, dansez, embrassez qui vous voulez.
 »

Tout en accordant autant de liberté aux participants sur le point essentiel de l’exercice !

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Exquise urbanité

juillet 29th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #32.

Ah, quel bonheur éprouve-t-on à lire des écrits d’une époque où l’on savait user de la langue pour exprimer des nuances de sentiment ou de comportement.

À la première planche de l’album de BD Le Temple du Soleil, Hergé fait, bien joliment, dire à un chef de police péruvien, très gentilhombre : « Vous aurez mal vu… »

L’emploi de ce futur antérieur est une forme délicieuse de politesse ; le passé composé, Vous avez mal vu, plus correct grammaticalement, aurait été moins rond, et il aurait dû être atténué par un adverbe, par exemple probablement, pour conserver au personnage son exquise urbanité.

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Douâ, le génie sur la branche

juillet 28th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #31.

Soudain, un individu à part, sorti d’on ne sait où, se met à pratiquer, tout seul, son génie autodidacte.

Sur la vérandah de notre maison de Kangaroo Island, par un temps idéal, nous lisons avec bonheur, la mer sous les yeux. Tout à coup nous entendons des trilles gracieuses, des sifflements mélodieux, des roucoulements charmants, déclinés sans la moindre hésitation. Étonnés, nous découvrons, perché sur la plus haute branche d’un eucalyptus proche, un magpie mâle, plutôt jeune, encore plus doué pour la musique que ses congénères, tous flûtistes et chanteurs, des grands passereaux artamidés au superbe plumage blanc et noir.

Il resta longtemps à chanter ainsi, pour nul autres auditeurs que moi-même et mon épouse, aucune autre magpie n’étant là pour l’entendre. Par la suite, pendant des mois, nous le retrouvions de temps en temps, toujours dans le même coin. Pour pratiquer ses exercices vocaux, il s’installait à chaque fois sur la même branche haute, nous ne l’avons jamais entendu chanter ailleurs ; et jamais il ne chantait ainsi en présence d’une autre magpie. L’hiver passe, nous ne le revoyons plus. Ô génie solitaire et pudique… Personne ne pourra, ne saura, ne voudra apprendre de toi.

Quelques mois plus tard, il est de retour, le génie musical ! Durant son absence, il a dû observer et écouter attentivement, car voilà-t-il pas que, soudain, j’entends le miaulement bref, discret et cristallin, de Chatoune… mais venant du ciel !

Je suis stupéfait : c’est bien lui ! De retour sur sa branche favorite ! Un petit dialogue s’instaure entre nous ; il a considérablement enrichi son répertoire, non seulement sait-il imiter notre chatte, mais il peut, en plus, jouer les trilles d’un merle, maintenant !

Il s’arrête, je laisse passer un temps bref afin de m’assurer que c’est bien à mon tour, que ce n’est pas une simple pause de sa part… Je me mets alors à siffler et chantonner, quelque chose de concis et de clair mélodiquement. Il écoute attentivement, la tête un peu penchée de côté… puis reprend à sa manière !

Je ressens autant de bonheur que lorsque je jouais, en duo de clarinettes, avec Iovita, mon cher professeur roumain de musique. En hommage à ces deux musiciens sensibles, j’appelle ce magpie doué : Douâ. Deux, en roumain.

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Le chat, ami du silence et du calme

juillet 27th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #30.

Le chat est ami du silence et des activités calmes, pratiquées longuement, dans des espaces circonscrits. Ce n’est pas pour rien que tant d’écrivains ont un chat comme ami proche. Un chat n’est ni un chien, ni… un singe. Il a besoin, physiquement et psychiquement, de tranquillité. Le chat domestique, enfermé dans un appartement avec des humains agités, dans l’impossibilité de fuir, souffre le martyre.

En corollaire : dans toute interaction avec des félins, les mouvements doivent être lents et délibérés, toujours, car chez eux tous les mouvements rapides sont associés à l’attaque. Si l’on ignore cette caractéristique essentielle de leur comportement, on ne comprend rien à leur personnalité profonde, et toute tentative d’échange est vaine. Ou se passe mal.

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Le mouvement perpétuel et l’antipathie spontanée

juillet 27th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #29.

Il y a les animaux qui ne se meuvent que si le mouvement leur apporte un avantage clair. Il y a ceux qui bougent tout le temps, au cas où… ils furètent, ici et là. Différence de comportement qui, dans la nature, crée des antipathies spontanées.

La même barrière comportementale sépare les humains en deux catégories distinctes, qui se supportent plutôt mal l’une l’autre.

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Le film de l’expression

juillet 27th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #28.

L’essentiel de l’expression commence par la posture du corps, se poursuit par l’intonation, enfin se confirme par les premiers mots et leur articulation. Le tout en quelques fractions de secondes.

Ils sont rares, ceux qui s’avèrent capables de percevoir in vivo cet enchaînement. Et ils sont nombreux ceux qui ne perçoivent rien… même au ralenti !

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La fin des grands totems

juillet 27th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #26.

Depuis la révolution agricole, plus notamment depuis la révolution industrielle, la plupart des sociétés humaines, lorsqu’elles usent d’une comparaison animale pour qualifier quelqu’un, le font d’une façon péjorative.

Il est bien loin le temps des sociétés primitives où l’on se réclamait, avec fierté, d’un animal sauvage et de ses qualités physiques, morales ou cognitives. L’époque du grand totem de la tribu.

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L’amitié spontanée de certains animaux pour les hommes

juillet 27th, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #25.

Konrad Lorenz [1903-1989], grand maître en éthologie, avait intitulé en 1950 un de ses livres : So kam der Mensch auf den Hund (‘ Ainsi vint l’homme au chien ’ – traduction française 1970 : Tous les chiens, tous les chats). Il s’agissait d’une série d’études et de réflexions, émouvantes et très intéressantes, sur la domestication des chiens et des chats. À la fin de son introduction, le sage autrichien faisait signe à ses lecteurs : « À tous ceux qui sont capables d’aimer et de comprendre tous les chiens, tous les chats, ce petit livre est dédié. »

On peut estimer que Lorenz aurait dû titrer son ouvrage : So kam der Hund auf den Mensch. Ce sont des canidés de la préhistoire qui sont venus à l’homme… et pas l’homme à ceux-ci. D’ailleurs, de façon générale, outre des canidés (même le jeune loup isolé !), beaucoup de jeunes animaux sauvages, des équidés, des bovidés (même le bison !), des félidés (même le puma !), s’attachent étrangement à l’homme rencontré dans la nature, et le suivent facilement. Cette forme bipède, inhabituelle, semble exciter leur intérêt autant qu’éveiller leur bienveillance, au détriment de toute prudence.

La domestication de tant d’animaux a ainsi pu se faire à cause d’une inadéquation entre l’instinct de précaution devant l’inconnu, et la curiosité naturelle des jeunes mammifères, cette curiosité s’avérant indispensable à leur développement mental. Homo, bien plus rusé et opportuniste que sage, a su profiter de ce hiatus comportemental, à son avantage. Le plus souvent, hélas, pour le plus grand malheur des animaux domestiqués et celui de leurs futurs rejetons.

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Comprendre une araignée

juillet 22nd, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #16.

Dans un coin, une toile d’araignée. Je suis en train de nettoyer, donc je la détruis. Le lendemain, nouvelle toile tout aussi belle et accomplie, destruction tout aussi complète de ma part. Surlendemain, itou… Au quatrième jour, je m’arrête et je réfléchis : après tout, ce petit être ne me veut aucun mal. Moi, par contre, je lui inflige épreuve sur épreuve.

Or, elle ne fait qu’accomplir la tâche qu’elle sait faire le mieux, qu’elle doit accomplir. Elle le fait avec un courage humble et une obstination du travail bien fait qui forcent l’admiration. Elle s’épuise, je finirai par gagner, mais où sera ma victoire ?

Je réfléchis, je médite, je décide : je ne détruirai plus son ouvrage, je ne serai plus son ennemi aveugle.

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Ronronner ou se lécher, pour se donner du courage

juillet 22nd, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #15.

Les chats ronronnent ou se lèchent autant qu’ils peuvent ; pas seulement lorsqu’ils sont heureux : aussi, pour se donner du courage. À l’instar des humains, lorsque ces derniers chantonnent. D’ailleurs, un chat malheureux et trop stressé va tellement se lécher qu’il va finir par se mettre la peau à vif, car la langue de ces félins est particulièrement râpeuse.

Ces deux comportements très caractéristiques de l’espèce sont, vraisemblablement, inscrits génétiquement. Ils s’avèrent, également, confirmés épigénétiquement (soit biologiquement, mais en dehors du génome au sens strict) : lorsqu’ils étaient chatons, leur mère ronronnait pour les calmer, les rassurer, et les léchait souvent, pas seulement pour les nettoyer ou activer leur digestion, mais aussi pour faire passer un message d’amour. Tout cela s’est profondément inscrit dans leur système nerveux, alors qu’il était encore à se former.

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En recherche

juillet 21st, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #13.

Toute ma vie j’ai été en recherche… et je le suis encore. Pas à la recherche de quelque chose, car je n’ai jamais rien eu de très précis à l’esprit, mais bien en recherche. Petit animal calme, mais curieux, toujours en investigation.

J’ai trouvé une foule de choses jolies, intéressantes, aimables, mais en beaucoup plus grand nombre d’autres qui étaient laides, menteuses, malsaines. C’est peut-être cela qu’il y avait à trouver, en définitive : la réalité navrante de ce rapport déséquilibré.

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Système vivant n’est pas machine

juillet 21st, 2023

In Pensées pour une saison – Hiver, #11.

Descartes [1596-1650] était fier d’avoir imaginé l’animal comme une machine ; l’homme, toutefois, subsistant, dans son esprit de philosophe idéalisant des catégories néo-platoniciennes, comme une âme incorporée [1].

L’auteur était intelligent et rédigeait bien, mais ne connaissait ni les âmes, ni les machines, ni les animaux… Nonobstant, son analogie satisfit pleinement les chrétiens en mal de renouvellement doctrinal, ainsi que les vivisecteurs de tous genres qui s’empressèrent de saisir un blanc-seing leur permettant de pratiquer… l’âme tranquille.

Quelques siècles plus tard, ils demeurent nombreux, ceux qui pensent : “ Moi, j’ai une âme ”… pour ensuite traiter les animaux comme des machines. Sauf, peut-être, leur favori (le “ pet animal ” des anglo-saxons), qui, lui, est différent…

L’attachement mental à la notion d’âme répond à des besoins psychiques très primitifs. À première vue, l’analogie cartésienne, entre machine et être vivant, peut sembler plus raisonnable, par sa formulation d’allure plus moderne. Pourtant, il devrait sauter à l’œil, même du plus myope, que c’est encore un non-sens.

Un organe, un organisme, doivent fonctionner, activement, une bonne moitié de leur temps, rien que pour conserver leur intégrité et rester opérationnels. Ce faisant, ils ne s’usent pas, au contraire ils se maintiennent, voire se développent. Le cœur doit travailler sans cesse… pour ne pas se scléroser à ne rien faire ! Tandis qu’une machine, si l’on procède de même avec elle, on ne fait que l’user : certes, elle doit être utilisée un peu, régulièrement, afin de la faire mieux durer, mais, généralement, pas plus de la moitié du temps !

Cette simple observation de bon sens s’avère profonde, car elle permet de pressentir une des différences fondamentales entre une machine et un système vivant : outre sa plasticité structurelle, absente de la machine, une caractéristique essentielle du second est qu’il se nourrit en métabolisant, ce qui lui permet de générer l’énergie biochimique nécessaire à son fonctionnement, mais aussi de renouveler, sans cesse, les molécules de ses cellules biologiques. Ce n’est pas le cas de la machine : l’essence ou l’électricité qu’on lui fournit ne sont que des sources d’énergie, elles ne se trouvent pas intégrées dans sa matière même.

[1] Cf. « Dérive antipodale des mots : cartésien », texte no 111 de Pensées pour une saison – Printemps.

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